J’entends de-ci, de-là, de fins économistes pronostiquer une baisse imminente des cours du baril de pétrole. Bien sûr, leurs anticipations semblent être motivées par une abondance relative de la ressource, en particulier à la suite d’investissements massifs des Groupes pétroliers au cours de ces dernières années et des succès d’acteurs américains dans l’exploitation de gaz non conventionnels dont ils récupèrent les condensats. La non réalisation du catastrophique et imminent « peak oil » annoncé depuis des années par certains participe également à ces prévisions misant sur la baisse des cours du pétrole à venir.
Il me semble cependant que ces pronostics à la baisse oublient de prendre en compte deux paramètres importants, l’un relevant de la physique de l’extraction pétrolière, l’autre intégrant les facteurs géopolitiques des régions du Proche et Moyen-Orient.
Le premier paramètre repose sur la déplétion naturelle des flux d’extraction de pétrole d’un champ pétrolier. En l’absence de tout investissement d’amélioration continue de la production, un champ de pétrole en exploitation verrait son volume de production se réduire d’au moins de 4 à 5% par an (FIG.I présentée par Total lors de l’investors’ day 2013 à Londres). Pour assurer la stabilité du flux de production mondial de pétrole brut, il est nécessaire que les compagnies pétrolières qui extraient 75 millions de barils de brut et autres condensats par jour, investissent lourdement pour combler les 3 à 4 millions de barils par jour naturellement perdus annuellement par déplétion. Ces investissements marginaux, estimés sur la base d’une dépense moyenne de 14 dollars par baril, atteignent annuellement autour des deux dizaines de milliards de dollars (4x365x14/1000) = 20,4 milliards). Ces investissements ne sont pas toujours spectaculaires, ils concernent les techniques d’amélioration du taux de récupération du brut (EOR) par injection d’eau ou de CO2 dans les nappes, ils mettent en œuvre, grâce à de nouveaux forages, l’exploitation de nappes annexes au champ principal, rendue possible par la connaissance de plus en plus fine des structures géologiques du lieu d’exploitation.
En d’autres termes l’arrêt hypothétique brutal de ces investissements de progrès par les Groupes pétroliers, en raison par exemple d’une baisse brutale et importante des cours du brut, se traduirait dans l’année qui suit par une baisse des productions de 3 à 4 millions de barils par jour et plongerait immédiatement le marché dans la pénurie de ressource.
Un autre paramètre quantitatif, bien que secondaire, doit être pris en compte: c’est la croissance mondiale des consommations de produits distillés et autres biocarburants. Elle progresse d’un million de barils par jour sur un total de 91 à 92 millions en 2013. Cette augmentation de la demande, essentiellement asiatique, nécessite d’investir dans de nouveaux outils de raffinage.
Là aussi, un arrêt des investissements dans le raffinage conduirait rapidement à une pénurie mondiale de produits raffinés.
L’autre paramètre majeur regarde la géopolitique. Après les conflits civils de la Libye, de l’Égypte et de la Syrie quelles seront les futures zones impliquées par des querelles moyenâgeuses à caractère religieux ou militaires? Luttes « modernes » entre le sabre et les goupillons.
Qui peut avancer que ces conflits sont de nature à subitement cesser? Les idéologies puissantes d’un autre âge s’affrontent et génèreront probablement d’autres conflits, soyez-en convaincus.
Enfin qui peut supposer que les deux plus grands exportateurs du moment que sont l’Arabie Saoudite leader de l’OPEP et la Russie ne décideront pas de limiter les flux de brut sortants, pour proposer en échange des produits raffinés beaucoup plus onéreux et pour eux plus rémunérateurs. La construction en-cours de raffineries utilisant du pétrole lourd en Arabie Saoudite participe à cette évolution.
Compte tenu des taux des Bons du Trésor américains qui se situent en ce moment pour le 10 ans autour des 3%, le prix du baril de Brent dans un environnement relativement apaisé devrait se situer entre 90 et 100 dollars. Avec un cours au-dessus des 115 dollars aujourd’hui il est possible d’évaluer la prime géopolitique aux environs de 20 dollars le baril. Qui peut prétendre que cette prime va subitement baisser?
Une montée des taux du Bons du Trésor à 10 ans américain vers les 3% à 4% devrait faire baisser les cours du baril de Brent de quelques dollars, baisse qui serait vite effacée par toute nouvelle querelle orientale.
En résumé une baisse improbable et importante des cours du brut mettrait en péril les investissements indispensables pour assurer le maintient des productions de pétrole brut et la croissance des flux de produits raffinés et autres biocarburants. Ceci plongerait rapidement le monde dans la pénurie et se traduirait par une envolée des cours.
Des prix soutenus du baril sont indispensables pour assurer le flux de production déterminé par la demande mondiale, de plus en plus asiatique. Durant la dernière décennie (FIG.II) le prix du baril de Brent est passé de 30$ en 2003 vers les 115$ en 2013. La permanence des équations physiques et géopolitiques, la progression des consommations asiatiques permettent de pronostiquer raisonnablement une multiplication par deux ou trois des cours, en dollar courant, durant la décennie à venir.
La disponibilité de produits pétroliers dans les décennies à venir reposera sur une lente croissance puis un maintient des flux. Ceci nécessitera un accroissement des cours qui permettra d’aller exploiter les ressources naturelles ou synthétiques les plus ingrates. Les acteurs économiques, consommateurs de produits pétroliers, devront s’adapter à cet accroissement des prix de la ressource…ou disparaître. Ce phénomène de sélection naturelle des acteurs économiques en fonction de leur résilience aux prix de l’énergie a déjà commencé en 2008 lors de la flambée des cours du pétrole.
Un abaissement provisoire des cours n’entraînerait que pénurie suivie immédiatement par un emballement des cours sous forme d’une nouvelle crise pétrolière mondiale.
De telles considérations et l’ampleur des marchés du pétrole justifient l’utilisation de ces marchés comme couverture vis à vis de la baisse de certaines monnaies comme le dollar. Elles expliquent le grand nombre de transactions sur ces papiers, que ce soit à New York sur le Nymex (WTI), à Londres sur l’ICE (BRENT) ou à Dubaï (DME) le marché en vogue. La demande croissante de tels papiers participe aussi à l’évolution quadratique des cours du baril.
Le 5 Septembre 2013




























