Une littérature abondante et largement dominante, inspirée de théories altermondialistes, nous apprend qu’il existe une incompatibilité évidente entre l’obligation de nourrir la population mondiale, les animaux domestiques et la volonté d’élaborer des biocarburants destinés à se substituer en partie aux consommations de produits pétroliers onéreux. Cette impossibilité est devenue une évidence triviale que plus personne dans les milieux de l’information ne met en doute. Cette approche militante malthusienne du monde, particulièrement en vogue et souvent associée à une opposition au progrès, met à profit toute sécheresse occasionnelle locale, toute spéculation passagère sur les céréales, le sucre ou les oléagineux pour argumenter de l’évidence de ses théories prêchant la frugalité, seule réponse acceptable à une pénurie affirmée inéluctable. Or un examen quantitatif du monde agricole actuel nous montre que les objectifs économiques sont à ce jour globalement satisfaits sans qu’il n’y est une dégradation fondamentale de la fourniture de nourritures aux peuples des pays en développement dont une part d’entre eux connaît en ce moment un formidable embellie. Ces phénomènes s’accompagnent globalement d’une augmentation des prix payés aux paysans qui encouragent l’investissement et l’innovation.
Je voudrais par quelques exemples simples souligner que la production agricole mondiale connaît de remarquables développements récents, en cours réalisation, et montrer que la demande de ressources pour élaborer les biocarburants n’est pas forcément la calamité annoncée par certains. Au contraire, l’existence de cette demande régulière et programmable en ressources agricoles constitue un formidable aiguillon pour stimuler, soutenir et réguler de nouvelles productions partout dans le monde…même dans les pays encore en développement.
I – un exemple de développement « tous azimuts » : la production de maïs dans le monde
Entre le début des années soixante et la fin du siècle précédent la production mondiale de maïs nous dit FAO-Stat est passée de 205 mille tonnes en 1961 à 615 mille tonnes en 2001 (FIG.I, courbe rouge). Cette croissance de type linéaire sur 40 ans (avec de fortes fluctuations aux États-Unis) qui a conduit à un triplement des productions a répondu, pour le maïs examiné ici, aux attentes quantitatives de René Dumont exprimées dans « Nous allons à la famine » en 1966.
Entre 2002 et 2010 la croissance des productions mondiales s’est brusquement accélérée pour atteindre 844 millions de tonnes (dont 316 aux États-Unis qui représentaient donc en 2010 plus de 37% des récoltes mondiales de maïs) sous l’influence combinée de l’amélioration des rendements et de l’accroissement des surfaces récoltées. Cette croissance récente que l’on peut attribuer à des prix soutenus par une demande croissante pour les biocarburants américains et pour la nourriture du milliard de cochons chinois s’est réalisée aux U.S.A. bien sûr mais s’est appliquée aussi à de nombreuses autres productions dans le monde (hors États-Unis, FIG.I, courbe verte).
Illustrons ces progressions par celle remarquable des pays américains « latins » hors USA et Canada (FIG.II)
ou encore par celle tout aussi significative de l’Afrique, une des aires d’avenir du maïs mondial:
Cette accélération toute récente est une conséquence de l’accroissement des surfaces récoltées au cours de la dernière décennie. Elles sont passées dans le monde de 137 millions d’hectares à 162 millions d’hectares (FIG.).
Cette croissance représentant la moitié de la surface de la France, s’est appliquée aux États-Unis et à de nombreux pays producteurs. Citons quelques exemples significatifs tels que le triplement des surfaces destinées au maïs en Tanzanie, le doublement de ces surfaces récoltées en Ukraine ou en Angola, les 40% de croissance des surfaces de maïs en Chine entre 2000 et 2010.
Mais à cet effet de l’accroissement des surfaces récoltées s’applique également l’accroissement continu des rendements des récoltes, résultant d’une plus grande maîtrise des procédures de culture et d’une sélection d’hybrides de plus en plus performants vis à vis des attaques parasitaires et des conditions climatiques (FIG.).
Les États-Unis ont vu les rendements des récoltes de maïs être multipliés par 2,5 en cinquante ans pour atteindre la zone des 10 tonnes de maïs à l’hectare (ou un kg au m2). L’arrivée de nouveaux hybrides plus résistants au manque d’eau devrait permettre à cette tendance de se poursuivre, tout en ouvrant la possibilité d’un accroissement efficace des surfaces cultivées vers les marges de la Corn-Belt américaine.
Dans le reste du monde là aussi les rendements s’améliorent (courbe bleue) mais il faut noter qu’à 4 tonnes à l’hectare ce sont des valeurs observées aux États-Unis 50 ans auparavant. Il existe donc une formidable marge de progression pour les futures récoltes de maïs en dehors des U.S.A. même si les méthodes américaines ne sont pas transposables dans toutes les régions du monde.
Ces données récentes illustrent l’impact de la montée des cours du maïs sur la réponse des cultivateurs dans le monde. Elles illustrent également le côté entraînant de l’existence d’usines agricoles locales où sont élaborés les biocarburants qui assure au paysan un débouché évident et qui l’incite à investir dans de nouvelles cultures.
Il faut pour les décennies à venir, au sein des pays d’Afrique ou d’Amérique Latine, imaginer de nombreuses usines agricoles de bioéthanol alimentées par des cultures locales de maïs, de cane à sucre ou de manioc. Leurs productions remplaceront localement une part des produits pétroliers importés devenus hors de prix.
Remarque: la production d’éthanol à partir de maïs aux U.S.A. en 2011 a consommé 5 milliards de boisseaux de maïs (125 millions de tonnes) ce qui correspond à 40% des récoltes de 2010. Mais il ne faut pas oublier que 30% de ces quantités sont remises sur le marché sous la forme d’aliments protéinés (DDGS) pour la nourriture des animaux. Le prélèvement réel pour la production d’alcool qui n’utilise que le seul amidon de la graine, représente donc dans les 28% de la récolte américaine de maïs.
A suivre….
Sur René Dumont lire le papier collectif de Marc Dufumier.
Le 23 Janvier 2011























