Il est des pseudos évidences dont le lecteur averti doit se protéger. Il en est une qui fait partie des données d'entrée de la consommation d'énergie dans le monde: la croissance démographique. La population mondiale croît, elle a connu sa croissance maximum entre les années 1990 et 1995, elle est maintenant en phase de croissance qui va en s'amortissant (FIG.I), de plus en plus de pays ayant passé leur phase de transition démographique: période plus ou moins longue selon les pays, durant laquelle les taux de décès baissent sous l'impact de la disparition des famines, des progrès sanitaires et médicaux alors que les taux de naissance restent encore élevés, au sein de populations parfois illettrées. De 6,8 milliards d'habitants aujourd'hui, le monde abritera plus de 9 milliards d'êtres humains en 2050 nous informent les Nations Unies. L'Inde devenant le pays le plus peuplé du monde vers 2030. Cette prévision de croissance de la population de 34% en un peu plus de 40 ans incite certains à prévoir, durant les années qui viennent, une vive croissance mondiale des consommations en énergie.
Un exemple schématique est fourni par l'Energy Outlook établi annuellement par Exxon-Mobil qui est la vision classique de l'évolution du monde de l'énergie dans les milieux économiques américains. La version 2008 comporte un premier graphique qui montre la croissance de la population, celle de la richesse mondiale et enfin la consommation d'énergie (FIG. II). Que dit Exxon dans cette étude? Il affirme que la croissance moyenne de la population entre 2005 et 2030 sera de 0,9% par an, celle de la richesse du monde de 3% par an et donc que la consommation d'énergie croîtra de 1,2% par an (version corrigée par rapport à l'année précédente, il avait avancé une croissance de 1,3% par an en 2007).
Ces graphiques vous laissent tout d'abord totalement convaincu de leur pertinence, tellement la démonstration est simple et la contestation peu crédible. Avec un recul de quelques mois sur leur publication on peut cependant, être amené à challenger le taux croissance de création de richesse mondiale: 3% par an par les temps qui courent ne serait-ce pas totalement délirant? Il m'étonnerait que Mme Irma, de sa boule de cristal, la seule au monde à savoir prévoir correctement l'évolution de la richesse des Nations, sorte un tel score digne des Trente Glorieuses. Mais ce n'est pas sur ce paramètre que l'objection est la plus évidente: c'est paradoxalement sur la croissance des populations.
Un chiffre brut de croissance moyenne annuelle des populations ne suffit pas, il faut aller un peu plus dans le détail pour analyser de quoi sera faite cette variation.
Il suffit de rappeler que les 1,2 milliards d'habitants des pays de l'OCDE, en 2008, ont consommé 55% du pétrole mondial malgré la crise. On en déduit que les 5,6 milliards d'habitants NON OCDE ont consommé 45% du pétrole mondial. Un calcul simple permet de remarquer qu'un individu des pays OCDE a brûlé ou transformé en 2008 en moyenne 14,5 barils de pétrole et que son cousin NON OCDE n'en a utilisé que 2,5 soit un rapport de 5,8 entre les deux. On le voit, un bilan de population brut ne suffit pas, il faut discriminer les variations de population entre les pays riches ou qui le deviennent et celles des pays en voie de développement, parfois bien lent.
Sur ce point, les Nations Unies nous informent que la croissance démographique dans les 40 ans qui viennent (2010-2050) va représenter probablement 2,2 milliards d'individus. Mais ces 2,2 milliards vont être répartis de façon très inhomogène (FIG.III), l'Asie et l'Afrique croissant chacune d'un milliard d'individus, les Amériques voyant augmenter leurs effectifs de 230 millions, dont 97 millions pour le continent Nord-américain. A l'inverse la population du grand ensemble Europe-Russie perdra 42 millions d'habitants durant cette période. En résumé la population des pays pauvres qui consomment peu d'énergie va augmenter d'ici à 2050 et celle des pays riches consommant beaucoup d'énergie va au mieux rester constante ou décroître (les données seront précisées plus loin).

L'autre paramètre important est le vieillissement de la population dont un exemple nous est donné par le Japon dont le parc automobile décroît et la consommation d'énergie recule, en raison du vieillissement de sa population (FIG. IV). Ce pays a connu son pic de population en 2006 (127,45 millions d'habitants) et d'après les prévisions des Nations Unies compte tenu d'hypothèses de natalité et de mortalité, et un solde migratoire proche de zéro (54000 par an), avancent que la population baissera de 25 millions d'habitants d'ici à 2050. Mais un examen de la tranche 15-64 ans la plus active et la plus consommatrice (courbe rouge) montre que sa population décroît depuis 1995 en qu'en 2010 elle aura déjà baissé de 6 millions d'individus. Elle aura perdu 35 millions d'individus en 2050.
Cet exemple japonais montre que dans certains pays présentant des taux de mortalité et de natalité faibles, c'est la population active qui décroit la première et qui est le paramètre pertinent pour déterminer certaines consommations. Les achats de voitures et la consommation d'essence en décroissance semblent être liés à cette évolution de la population fortement urbanisée au Japon. La baisse des revenus, un mode de vie plus frugal, conséquences de l'arrêt d'activité professionnelle ou à son ralentissement (temps partiel, petit boulot) amènent le japonais urbain à se séparer de son véhicule et du garage obligatoire qui va avec.
Il est fortement probable que ce comportement japonais va se généraliser à d'autres pays européens qui vont aussi voir leur population vieillir et évoluer vers une sagesse respectueuse de l'environnement par attitude philosophique et par nécessité financière. Le profil de projection de la population allemande par exemple, dont la population active décroit depuis les années 2000, est proche de celui du Japon (FIG.V) avec un décalage de 5 ou 10 ans. La population active allemande pourrait baisser de 15 millions d'individus entre 2000 et 2050.
Un examen de l'évolution de population des pays potentiellement les plus riches du monde qui englobe l'Amérique du Nord, l'Europe-Russie, le Japon, la Corée du Sud, l'Australie-Nouvelle Zélande, le Brésil et le Moyen-Orient montre que la population de cet ensemble va croître de 200 millions d'individus entre 2010 et 2050 (FIG.VI). Cependant la population active va demeurer globalement constante en dessous de 1,2 milliards d'habitants.
Ces données montrent que de parler de croissance de population n'est pas suffisant pour anticiper des consommations d'énergies dans le monde. Une partie de cette variation des besoins en énergie va dépendre de la taille de la population active riche du Globe. Or celle-ci à l'horizon 2050 ne va pas connaître la croissance générale de la population en raison des phénomènes de vieillissement.
Conjuguée aux efforts de progression dans l'efficacité énergétique des processus qui seront mesurés chaque année, dans chaque pays, par ses émanations de CO2, cette faible croissance démographique à fort pouvoir de consommation permet d'anticiper une stabilisation ou une très faible croissance annuelle (<0,5%) des besoins en énergie dans le monde d'ici à 2030. A titre d'anecdote la consommation globale d'énergie aux Etats-Unis en 2008 a diminué de 2% par rapport à celle de 2007 en raison de la baisse des consommations en produits pétroliers.
Les ressources d'économies mondiales d'énergie dans des parcs automobiles d'un autre temps, dans des centrales électriques d'une grande inefficacité, dans des habitations ouvertes aux quatre vents sont considérables. Un juste prix des ressources énergétiques, la disparition de subventions archaïques, une information continue des populations, des politiques d'incitation devraient conduire le monde à stabiliser sa consommation en énergie, malgré une croissance démographique encore soutenue, mais au sein d'une population vieillissante.
Si les problèmes de démographie vous intéressent je vous signale un accès très facile aux données les plus diverses dans le site des Nations Unies (LIRE).
Le 6 Avril 2009.
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