Depuis le printemps 2009, à la suite des puissantes envolées et dégringolades des cours du pétrole brut dans le monde, nous avons tous assisté durant quatre ans à une reprise des consommations de produits raffinés, plus ou moins agrémentées de biocarburants tant décriés par certains et pourtant si utiles dans l’échafaudage du bilan mondial des consommations de carburants liquides. Consommations tirées par les appels chinois et plus globalement asiatiques sur fond d’une profonde vague de développement et d’urbanisation de ces régions du monde. Les besoins mondiaux de ces produits sont passés depuis le plus bas de début 2009, de 84 millions de barils par jour à quelques 90 millions de barils par jour en ce début 2013 (Voir les excellentes courbes moyennes publiées par Stuart Staniford qu’il appelle « oil supplies » et qui sont, en bon français, des consommations mondiales de dérivés pétroliers liquides et autres biocarburants). Ces données affichent une croissance moyenne annuelle de 1,5 million de barils par jour avec une tendance à se tasser sous la pression des prix, précieux support à la progression de l’efficacité énergétique des processus (transport terrestre, aérien, maritime, raffinage, chimie, etc.).
A ces consommations pétrolières en croissance sont à associer de puissants investissements rentables des industries d’exploration et d’extraction de gaz et de pétrole dans le monde. La disponibilité de pétrole n’est pas de nos jours un problème de stock comme on l’a vu avec les découvertes récentes offshore au Brésil ou au large de l’Afrique de l’Ouest, dans le Golfe du Mexique ou dans les gisements de gaz de schistes américains et tout récemment en Afrique de l’Est. C’est un problème de maintien du flux d’extraction, sponsorisé par des prix attrayants du baril qui incitent les industriels à investir dans l’exploration de pétrole et de gaz ou le développement de biocarburants.
Les prix du pétrole qui obéissent à la loi des rendements décroissants doivent permettre de financer l’exploitation des ressources lointaines les plus ingrates (sables bitumineux canadiens, éthanol de maïs, huiles lourdes de l’Orénoque, offshore profond, etc.) tout en créant une rente pétrolière pour les grands producteurs en place comme la Russie ou l’Arabie Saoudite qui détiennent à deux la clé des cours du brut. Ce sont eux avec un gros quart des extractions totales de pétrole qui assurent la disponibilité mondiale de la ressource et orientent les ordres de grandeur des prix.
Mais examinons la croissance de ces prix durant ces quatre dernières années de post-crise financière puis économique. Il faut tout d’abord noter le quasi effacement du rôle du WTI américain échangé à Cushing, bled de l’Oklahoma, saturé en pétrole par les oléoducs y apportant les extractions du Nord du Continent, et coté à New York. Les prix mondiaux du brut ne se font plus aux États-Unis, mais ils se déterminent sur les cours du Brent coté à l’ICE à Londres. Le Brent est devenu le benchmark des cours mondiaux avec un énorme spread de plus de 20 dollars au baril par rapport au régional WTI américain. Tels en ont décidé les grands acteurs de ces marchés, conférant ainsi aux États-Unis, privés de leur leadership dans l’établissement des cours, un formidable avantage concurrentiel énergétique par rapport au reste du monde. Les raffineries américaines se procurent le pétrole local ou les condensats de gaz à 20 ou 25 dollars de moins que le pétrole importé au cours mondial. Elles sont devenues de formidables exportatrices de produits raffinés américains. (Pauvre raffinerie Petroplus française, laminée par une concurrence injuste et donc devenue invendable!).
Un examen des cours du Brent durant ces dernières années, montre empiriquement qu’ils sont liés pour une part au taux de l’argent aux États-Unis (FIG.I). Ce mécanisme passe par les formidables échanges de pétrole papier suffisamment larges pour servir de couverture des taux de change du dollar. Les possesseurs de liquidités se couvrent en pétrole papier plutôt qu’en Bons du Trésor américains dès que le dollar tend à baisser contre les autres monnaies.

La droite de corrélation (FIG., ligne en tirets) du produit des cours du baril de BRENT en dollars par le taux du Bon du Trésor américain à 10 ans élevé à la puissance 0,65 en fonction du temps sur plus de 3 ans est sensiblement horizontale.
Cette relation entre les cours du Brent et les taux du Bond à 10 ans américain peut donc s’écrire:
BRENT ($/baril) = 180 / (US 10 year bond)0.65 (Puissance 0.65)
Elle est représentée graphiquement (FIG.II)

Entre Mars 2010 où le Brent cotait moins de 80 dollars le baril et Février 2013 ou les cours frisent les 120 dollars les taux du Bon du Trésor américain à 10 ans sont passés de plus de 3,5% à 2% aujourd’hui en suivant en moyenne la tendance de la courbe de la FIG.II.
Cette courbe montre qu’un afflux de liquidités en dollars, sous l’impact des banques centrales par exemple, pourrait rapidement propulser les cours du BRENT vers les 140 dollars le baril. Inversement une régulation plus rigoureuse des liquidités disponibles qui conduirait le US Bond à 10 ans vers les 2,5% , ramènerait les cours du Brent vers les 100 dollars le baril. Bien sûr, ces hypothèses de variation supposent que les teneurs de marché que sont l’Arabie Saoudite et la Russie conservent leur position bienveillante vis à vis du marché et assurent une bonne disponibilité en pétrole.
Une volonté subite de leur part de vouloir économiser leurs réserves et de réduire les livraisons se traduirait immédiatement par une flambée des cours. La Russie dispose d’un moyen de régulation simple de ses exportations en volumes: les taxes sur l’exportation de pétrole qu’elle a fortement réduites durant ces dernières années.
Ces réflexions montrent que d’attendre, à moyen terme, une baisse des cours du pétrole me paraît comme assez illusoire et en contradiction avec les contraintes économiques et géopolitiques du marché. L’exploration et l’extraction de pétrole, sponsorisées par des cours soutenus du baril devraient permettre d’assurer les fournitures en quantité et en qualité du marché durant les décennies à venir. Inversement une baisse trop marquée des cours du baril ne manquerait pas à dissuader certains investissements devenus peu rentables et à conduire le marché vers la raréfaction de la ressource et vers une concentration accrue entre les mains des deux grands acteurs
Un flux suffisant d’extraction de la ressource (biocarburants et condensats de gaz compris) présuppose des prix suffisamment rémunérateurs pour assurer la rentabilité des opérations les plus ingrates, les plus onéreuses et les plus risquées qui participent au bilan global d’approvisionnement. Aux gros producteurs favorisés par la nature de gérer en « bons pères de famille » leur rente sur le long terme. Un exemple d’application de la Loi des rendements décroissants.
Le 20 Février 2013