Chaque année l’association des journalistes du jardin et de l’horticulture décerne le prix Saint Fiacre (patron des jardiniers) au meilleur ouvrage; Pour 2005, il a été attribué à Nadia de Kermel et Jean-Paul Collaert pour « En vert et malgré tout » aux éditions Ulmer.
Ce livre raconte la correspondance épistolaire de deux passionnés de jardin; voici un extrait qui donne le ton, un clin d’oeil à tous ceux qui s’y retrouveront:
Cher Jean-Paul,
Ma main est en cours de cuisson, collée à ma tasse de café brûlant. Ma main droite qui t’écrit est encore gelée. Si mon crayon m’échappe, mes doigts, c’est sûr, me quitteront pour lui; Ils sont transis.
Veux-tu me dire ce que j’avais besoin d’aller fouiner dehors? Pour y voir quoi? A part les poules, heureuses d’être lachées dans le jardin comme de jeunes pensionnaires dans le grand monde, à part elles, que du froid.
Suis revenue avec une paire de poireaux barbus et un bouquet de persil plat. Mais l’envie, tu sais ça, toi, l’envie qui vient de rien, d’une mauvaise herbe qu’on arrache et, pour finir, te retient par la manche jusqu’à la nuit tombante, cette envie-là n’est pas venue.
C’est lui, le jardin, qui ne veut pas. Il s’en moque pas mal de me manquer (pour une fois qu’il me manquait!). Oh tiens, ce qu’il m’agace quand il est comme çà, inerte, à me regarder passer du blanc de l’oeil, sans bouger une feuille. L’air de dire » Je dors, fiche-moi la paix « . Manquerait plus qu’il se mette à ronfler, ce serait le pompon !
Je suis donc partie en forêt, entre la ferté-Vidame et la Madeleine-Bouvet, chercher des feuillages. L’hiver, je fais de la purée de poireaux et des couronnes de feuillages. Les deux sont jolies, les enfants aiment la première et moi les autres. Bref, j’ai ramené de l’ajonc, des bruyères argentées, du lierre en fleurs, du houx avec des boules, du fusain avec des bonnets (d’évêque)des lianes de clématites en fruits et quelques branches d’églantiers rouges de cynorrhodons.Les champs et les bois étaient beaux. C’était un beau jardin. C’est en tous les cas, celui que je préfère. Les arbres y sont moussus, les fruits, petits et tachés. Les fleurs, toujours, sont élégantes et les lianes, folles. Ajoute à tout cela, de la brume le matin, de la fièvre de soir qui fait rougir le ciel, la terre qui transpire et qui sent fort et des bêtes invisibles qui font peur. C’est çà que je veux.
L’autre le mien, avec ses haies taillées, ses carrés et ses allées qui mènent quelque part, l’autre m’ennuie chaque jour davantage. Quelle idée de faire un jardin! Qui sommes-nous donc pour croire que l’on pourra faire mieux que la nature elle même? On se croit grand…Seulement voilà! S’amène un jour d’hiver, jour de purée aux poireaux, froid et silencieux, qui dégrise. Et de se rendre à l’évidence: c’est mieux dehors, passé les barrières du jardin.
Peut-être qu’un jour, jardins et jardineries en auront-ils fini d’occuper les esprits et de vider les porte-monnaie. L’envie de nature vraie aura tout balayé. On s’émerveillera devant la perfection d’une fleurette de lierre terrestre, on reconnaîtra au coquelicot sa grâce incomparable, à la mousse, le moelleux dont nos pieds raffolent….On s’occupera de la nature, on la soignera…
Mais non!
Je tremble déjà à l’idée que des jardiniers, avec parmi eux les pires empoisonneurs, se penchent sur elle comme autant d’apothicaires aux bavures savantes, discutant âprement de l’amputation de tels ou tels arbres, de l’arrachage de telles ou telles plantes, de l’introduction de telles ou telles autres. De combien de folies irrémédiables seraient-ils encore capables?
Finalement, mieux vaut peut-être en rester au jardin et ne gâcher que lui.
« En vert et malgré tout »: 15 euros
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