
Depuis le début du mois de mai, l’étonnant jardin “Le Jardin de l’Alchimiste” a ouvert ses portes. Si d’aventure, vous vous promenez d’ici à la fin de l’automne, dans les Alpilles, prenez le temps de vous arrêter à proximité du très beau petit village d’Eygalières, qui campe ses maisons rocheuses au coeur d’une garrigue à demi sauvage. Vous pourrez alors découvrir, dans l’antre du Mas de la Brune, un jardin original où une philosophie influencée par l’alchimie – qui se pratiquait beaucoup à la Renaissance et dont, ici, la demeure appartint, probablement à l’un de ces chercheurs du secret de la transmutation du plomb en or et autres … – se mêle joyeusement au plaisir esthétique des jardins contemporains.

Contemporain, car ses créateurs ont voulu lui donner des formes inspirées par le Land Art et rompre avec différents styles traditionnels. Il s’agit donc d’un territoire de libre expression où l’alchimie est évoquée de manière ludique et culturelle. Il n’est qu’invitation à philosopher, à penser. La rhétorique alchimique est déroulée en filigrane, nous conduisant d’un labyrinthe, qui est peut-être celui du monde, à une galerie d’herbes “simples”, de celles qui accompagnent tous nos maux quotidiens. 
Nous arrivons ensuite, dans ce qui pourrait être le point d’orgue du lieu : dans trois cercles végétaux successifs, qui sont l’expression de l’oeuvre noire, de l’oeuvre blanche puis celle de l’oeuvre rouge. Chacun de ces “cercles” ou territoires philosophiques vient nous surprendre par sa décoration de plantes colorées. Ici les compositions se relient par de petits passages et se veulent l’allégorie de nos possibles chemins initiatiques.

De prime abord, on pourrait avoir peur d’un jardin arguant ses propres préceptes philosophiques, on a matière à être un peu méfiant …, on recherche davantage à s’égarer, voulant échapper, plutôt, à toute “ligne de conduite” … or, à juste titre, on est obligé de ne pas en tenir rigueur ! La beauté certaine de l’endroit, la créativité et l’imagination, à la fois esthétique et culturelle qu’ont suscité ce projet, auquel a participé l’ethnobotaniste Pierre Lieutaghi, achèvent de nous inspirer le doute. Les auteurs de cet étrange jardin se sont emparés d’un sujet ancien : l’alchimie et de toute la poésie de son imaginaire, pour le détourner et nous offrir un havre ou plutôt une île végétale, de curiosités et de pensées tressées, où il est agréable de venir expérimenter de nouvelles façons de créer un jardin et de méditer sur soi. N’oublions pas que le jardin, et ce dans de nombreuses traditions, est une plaisante allégorie du monde, de notre monde. En le visitant cette semaine, mon regret est de ne pas avoir pu voir – et sentir – les parterres et les buissons de roses, blanches pour l’oeuvre blanche et rouges pour l’oeuvre rouge. Pour cela, il suffit de revenir s’égarer.
Puisqu’on parle de roses, de nouveau la manifestation ”Altera Rosa, les roses que vous n’avez jamais vues …” va se dérouler, ce week-end, dans la magnifique enceinte du Palais à Papes en Avignon. Une occasion de rencontrer les roses qui vous parlent, celles qui vous séduisent ou encore celles que l’on connaît encore très mal.
Le Jardin de l’Alchimiste est cité dans le très bel ouvrage “Du jardin au paysage : 30 créations contemporaines en Provence” de Louisa Jones et Bruno Suet, publié aux éditions Aubanel.