Olkiluoto une centrale qui joue à la roulette russe
En Finlande, on évoque un retard de deux à trois ans dans la construction de la centrale nucléaire à Olkiluoto. Avec dans le même temps des pénalités de retard qui devraient s’accumuler. Dans ses comptes semestriels, Areva a inscrit une somme comprise entre 200 et 250 millions d’euros. Des proches du dossier évoquent désormais des pénalités au-delà des 500 millions d’euros.
Areva, le champion français de l’atome, a accumulé un an de retard sur le chantier d’une centrale nucléaire « ultra-moderne » en Finlande : béton poreux, pièces défaillantes, dossiers mal ficelés… Un bide d’autant plus opportun que la France a besoin de la Finlande pour piller ses ressources en uranium.
Le « contrat OL3 », nom de code pour la centrale nucléaire EPR que le groupe français est en train d’échafauder dans la ville finlandaise d’Olkiluoto. Ouvert en février 2005, le chantier accuse déjà un an de retard – soit deux journées de perdues sur trois !
Ce fiasco est d’autant plus gratiné qu’il couronne un projet garanti « historique » : la construction du tout premier réacteur dit « de troisième génération » au monde, pour un coût de trois milliards d’euros. Cette usine devait relancer le nucléaire dans le monde et être ainsi la référence pour le futur développement d’Areva dans le monde. À l’instar de l’Airbus A380, dont le vol inaugural fit couler des larmes d’allégresse sur les bajoues des éditorialistes, le chantier d’Olkiluoto était, à ses débuts, l’occasion d’exalter le génie nucléaire français et de célébrer la franche camaraderie européenne, Areva s’étant allié sur ce coup avec l’Allemand Siemens. Mais le chantier du siècle a vite tourné au bac à sable. D’abord, on s’est rendu compte que le béton destiné à bâtir le socle du réacteur était poreux. Sans une vérification de dernière minute, on se serait retrouvé avec une centrale nucléaire aussi solide qu’une maison « fainix » . Il a fallu renvoyer à l’usine plusieurs pièces jugées défaillantes par les autorités de contrôle finlandaises. Celles-ci ont aussi renâclé sur les dossiers du constructeur, qui ne répondaient pas aux critères de sécurité. Moralité : une déculottée en place publique et un retard chiffré à cent millions. Et la douloureuse pourrait encore s’alourdir sous la cagade de l’« excellence franco-allemande ».
Heureusement, et pourtant nous sommes en finlande, les médias ont jeté un voile pudique sur ce bilan calamiteux, si ce n’est pour en déplorer l’impact sur le portefeuille des actionnaires. Car si les prouesses d’Areva venaient à se savoir, elles pourraient rendre nerveux les habitants de Flamanville, dans la Manche, où la construction du réacteur EPR est en marche. Et, cette fois, pas de Finlandais pour lui infliger des contrôles tatillons. Propriété du Commissariat à l’énergie atomique, Areva (issu de la fusion entre Cogema et Framatome) avec Edf comme actionnaire sait pouvoir compter sur la mansuétude des instances de contrôle françaises.
En attendant, c’est bien la Finlande qui lui donne du souci. Pas seulement à cause du béton friable, des pièces bâclées et des dossiers mal ficelés, mais aussi parce qu’Areva a besoin de ce pays pour s’approvisionner en uranium. À rebours de ce que claironnent les farceurs du lobby nucléaire, « l’indépendance énergétique » attribuée à l’atome est un leurre : l’uranium qui sert de carburant aux centrales françaises – sept mille tonnes par an – est importé à 100 %. Du Niger et du Canada, principalement. Mais l’uranium, tout comme le pétrole, est une ressource qui s’épuise (40 ans de réserve), d’où la nécessité d’aller draguer de nouveaux gisements. Justement, la Finlande en possède. L’année dernière, Areva a obtenu du gouvernement finlandais une concession de cent dix-huit kilomètres carrés pour prospecter de l’uranium et du thorium (l’uranium utilisé pour les réacteurs surgénérateurs de type Superphénix) dans la province d’Itä-Uusimaa (c’est Areva Pologne qui travaille sur place, moins dangereux pour les français et surtout à un coup de la masse salariale encore inégalable), dans le sud du pays en signant un contrat pour l’utilisation exclusive de l’uranium à des fins civiles (n’importe quoi, car le nucléaire en France est classé secret d’état). Pas rassasiée pour autant, Areva convoite aussi des terres, près d’Helsinki et en Laponie. Mais là, les autorités finlandaises hésitent. C’est que les populations locales, peu désireuses de voir leur habitat transformé en gruyère radioactif, font déjà monter la pression (Enfin).
Il faut dire que les « normes de sécurité » à la française n’ont rien pour les rassurer. À Jouac, près de Limoges, la dernière mine d’uranium tricolore a contaminé les environs pendants trois décennies, notamment les plans d’eau. Depuis sa fermeture en 2001, les déchets ont pris le relais. Les chercheurs indépendants de la CRIIRAD dénonçaient déjà en 2004 « le dispositif d’évaluation de l’impact radiologique actuel du stockage » des déchets, « totalement inadapté et [qui] sous-estime de façon inacceptable les doses de radiation réellement subies par les riverains ». Mais la mobilisation locale est restée lettre morte. Les plaintes déposées contre la Cogéma ont été classées sans suite et le législateur n’a pas voulu vexer les pollueurs. Déjà en janvier 2002, l’Assemblée nationale – époque gauche plurielle – prenait soin de retirer du projet de loi sur l’eau l’idée d’une redevance sur les contaminations radioactives. Les intérêts d’Areva sont mieux à l’abri que son uranium. Du moins en France. Peut-être en ira-t-il autrement en Finlande, quand le feuilleton burlesque d’Olkiluoto aura définitivement prouvé le prodigieux savoir-faire d’Areva.


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