Chevron et Total exploitent en Birmanie un gisement offshore qui produit, annuellement, 630 millions de pieds cubes de gaz. En France, les critiques portant sur Total sont nombreuses et souvent sans appel. Le 16 Octobre C. de Margerie, Directeur Général de Total, a été auditionné par la Commission des Affaires Etrangères au sujet de la présence de son Groupe en Birmanie. Voici un extrait de sa déposition:
« Abordant la situation de la Birmanie, il a précisé que des investissements avaient été faits, depuis longtemps déjà, dans un projet de production de gaz naturel principalement demandé par la Thaïlande qui manquait de gaz et d’hydrocarbures. Dans ce programme, Total est l’opérateur et se trouve associé à plusieurs partenaires : la société américaine Chevron, la compagnie thaïlandaise PTTEP et la compagnie nationale birmane. Il a indiqué que, conformément aux contrats, 85 % de la production étaient destinés à la Thaïlande et 15 % à la Birmanie, tout en regrettant que la part birmane ne soit pas plus élevée. Bien avant les évènements survenus récemment, Total, après l’avoir évoqué notamment avec la Prix Nobel de la Paix à Rangoon, avait pris la décision de ne pas procéder à de nouveaux investissements afin de ne pas créer de provocations. Actuellement les seules dépenses mises en œuvre sont destinées à maintenir le niveau de production et à entretenir les équipements existants dans le cadre du projet Yadana, pour les maintenir au meilleur niveau de qualité opérationnelle, notamment pour éviter tout risque d’accident ou de pollution ».
Pour ce qui est de la Société Chevron aux Etats-Unis les critiques sont rares et les articles de Presse soulignent le plus souvent le rôle positif d’un Groupe étranger produisant en Birmanie. « Je pense que la Birmanie régresserait encore plus vite vers le Moyen-âge si toutes les compagnies étrangères quittaient le pays » dit un membre du Peterson Institute.
Mais il n’y a pas que les Sociétés Pétrolières qui sont en Birmanie. Il existe aussi des activités à la frontière avec la Thaïlande qui ne sont pas très orthodoxes.
Andrew Higgins, du Wall Street Journal, a réalisé un reportage remarquable sur l’utilisation de la main d’œuvre birmane en Thaïlande. En voici quelques extraits :
La “connection” Birmane
Myawaddy, Myanmar. Au nord de cette ville frontière, six jours par semaine, une cohorte de jeunes femmes à peine levées, descend péniblement un chemin boueux pour grimper à bord d’un bateau métallique qui va leur permettre une très courte traversée de la rivière Moei, étroite et boueuse frontière entre le Myanmar et la Thaïlande. Ces femmes, victimes de la ruine économique de leur pays, dirigé par le plus coriace des régimes dictatoriaux, sont sur leur trajet pour aller travailler dans une usine thaïlandaise, située de l’autre côté de la rivière. Le soir venu, très tard, elles feront le chemin inverse pour rentrer au Myanmar. Ce va et vient assure la main d’œuvre de l’ensemble d’une industrie textile dont les forces reposent à la fois sur la misère de cette nation, auparavant connue sous le nom de Birmanie, refuge de légions de travailleurs désespérées, et sur la passion de l’Amérique pour la lingerie à bas coût. Elles travaillent pour « Top Form Brassiere (Mae Sot) Co » une unité d’une compagnie de Hong Kong, la Top Form International Ltd. La plupart des six millions de soutiens-gorge commercialisés cette année sous des noms tels que Maidenform ou Vanity Fair, proviennent de cette usine située le long de la rivière Moei. L’étiquette mentionne « Made in Thaïland » bien que la plupart de la main d’œuvre soit birmane.
« Il n’y a rien autour d’ici pour elles » dit le directeur de l’usine Top Form. Cet américain de 32 ans, explique que ces boulots permettent aux affamés du Myanmar de ramener au foyer trois dollars par jour. « Ils n’ont aucun revenu, aucune nourriture, aucun rien » dit-il, en dehors de son usine, à quelques miles de la ville Thaï de Mae Sot.
Le Myanmar isolé, où les dirigeants militaires ont écrasé les protestations pacifiques dirigées par des moines boudhistes, offre un exemple accablant de travail transfrontalier imposé par les pressions questionnables du commerce international.
La mondialisation se fourre dans tous les coins et recoins les plus reculés et les plus politiquement toxiques de l’économie mondiale. Les sanctions des USA et de l’Europe dissuadent la plupart des Compagnies occidentales de s’installer au Myanmar. Mais le long bras du commerce contourne ces barrières, en des lieux comme cette zone frontalière, en aspirant de la main d’œuvre dans les pays limitrophes.
Le Myanmar pose aussi une question d’éthique pour les Occidentaux préoccupés par le rôle que les Multinationales peuvent jouer en soutenant des régimes crapuleux. Le Myanmar est comparable à une décharge « économique » dans laquelle nombreux de ses quelques 56 millions d’habitants auraient soif de boulots que peu auraient envie de faire. Les directeurs d’usines frontalières, à la recherche du coût optimum, non pas pour leur propre intérêt, finissent par offrir des emplois que à la fois les gens du Myanmar et leur gouvernement militaire désirent.
L’ancienne colonie britannique a été autrefois le premier exportateur de riz du monde, avec une économie prometteuse. Les militaires prirent le pouvoir en 1962 et lancèrent un mouvement d’indépendance en mettant la main sur les entreprises et en expulsant les hommes d’affaires indiens.
Les dirigeants militaires vers la fin des années quatre-vingts commencèrent à courtiser les investissements étrangers et le commerce qui se développa avec les voisins asiatiques. Mais la politique répressive continua à stigmatiser les relations avec l’Ouest. Dans les années récentes, les prix croissants de l’énergie accrurent les recettes du Myanmar, tirées du gaz naturel. Le régime utilisa alors une large partie de cet argent pour édifier une nouvelle capitale et subventionner les carburants.
Ici à Myawaddy, une grosse ville frontière, les échoppes vendent de l’ail du pays et autres produits, mais ils elles sont approvisionnées presque entièrement en produits venant de Thaïlande ou de Chine. Myawaddy dispose d’une poignée de routes pavées et de peu de voitures. L’électricité est aléatoire. Les emplois sont encore rares.
Le principal employeur, un gros fabricant de vêtements, a plié boutique il y a plusieurs années, fautes de commandes, en partie en raison des sanctions US et européennes. La plus grosse entreprise est maintenant une distillerie, Grand Royal Whisky, qui produit à tout va un tord-boyaux alcoolisé à 1$ la bouteille. La contrebande avec l’autre côté de la rivière est la principale industrie florissante.
Le Myanmar « est en train de pourrir comme un poisson mort », dit Saw Sei un va-nu-pieds de 39 ans qui, la semaine dernière, est venu de Myawaddy à la ville Thaï de Mae Sot par le pont « de l’Amitié ». Pour démarrer ce qu’il espère être une nouvelle vie, il a emprunté l’équivalent de 15$ à des amis, à 10% d’intérêts mensuels, et affirme qu’il acceptera n’importe quel travail en Thaïlande pour 1,5$ par jour ou plus.
Le désespoir économique du Myanmar qui s’est amplifié avec la montée des prix des carburants et du gaz de chauffage, a été le catalyseur du mouvement de protestation. Il poussé au moins cent mille personnes, ou peut-être deux ou trois fois plus, à chercher du travail de l’autre côté de la frontière, dans la région de Mae Sot. Au total, plus de deux millions de gens du Myanmar sont supposés travailler en Thaïlande, avec peut-être un quart d’entre eux munis de documents de travail.
Alors, avant de vous prononcer sur la pertinence de la présence de Total en Birmanie, vérifiez si le soutien-gorge de votre petite amie n’est pas « Made in Thaïland ».


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