Donner un prix, en croissance régulière, au carbone.

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Dans un article paru dans Les Echos du 17 Octobre intitulé  « Réchauffement climatique : donner un prix au problème »,  Sir Nicholas Stern et Nicolas Hulot envisagent la stimulation du marché des économies d’énergies par la mise en place de taxes et de permis d’émissions sur le CO2. Je les cite : «Le consensus est total chez les économistes sur la nécessité de donner un prix progressivement croissant à toutes les émissions à l’origine du changement climatique….. Afin de limiter l’impact de la charge nouvelle que provoquerait une fiscalité sur le carbone, on peut imaginer qu’elle soit compensée par une baisse de la fiscalité sur le travail, aussi bien sur la part patronale que sur la part salariale. »

                Je voudrais faire quelques remarques sur leur approche assez colbertiste.

                  Tout d’abord je leur signalerais que le marché des énergies primaires carbo-polluantes que sont le pétrole, le gaz et le charbon  ne les ont pas attendu. Les prix du baril de pétrole montent de 8$ par an  depuis près de cinq ans, les prix du gaz les suivent avec une certaine décote, quand à ceux du charbon, importé en Europe, ils ont doublé en 7ans. Pour l’instant ces prix n’ont pas ou peu dissuadé la consommation : nous nous trouvons en phase dynamique d’équilibre de l’offre avec la demande par une stimulation de l’offre due à une crainte virtuelle de rupture d’approvisionnement. Les volumes de pétrole consommés croissent annuellement de 1,3 mbl/j depuis dix ans, la consommation de gaz mondiale croît de 3% par an depuis cinq ans.

                Pour ce qui est du pétrole, qui va être le premier concerné par les manques de ressources, les études analytiques de déplétion des grands champs pétroliers menées à Uppsala par Robelius montrent qu’il sera difficile de dépasser des productions mondiales de 90mbl/j à 95 mbl/j en fonction, bien sûr, des contraintes géopolitiques. Avec une consommation prévue en 2007 à 85,9 mbl/j par l’agence Internationale de l’Energie et des consommations tirées par l’Asie, le Moyen-Orient et l’Amérique du Sud, il est donc possible de prévoir que nous allons rencontrer les premières pénuries réelles de ressources dans trois à cinq ans.  L’équilibre offre/ demande par les prix se fera alors par réduction de la demande. La montée des prix du pétrole sera alors beaucoup plus vive (15 à 20 $ par an) et les volumes mondiaux consommés décroîtront.

                Voilà le premier des paramètres de persuasion de la nécessité de faire des économies d’énergies : le Marché. Le champ d’expérimentation privilégié va bien sûr être les Etats-Unis pays de grand gaspillage mais aussi pays ou les économies peuvent être les plus rapides et les plus marquantes. Les prix du brut se répercutent en direct sur les prix à la pompe de façon proportionnelle. La prise de conscience est déjà réelle dans des Etats comme la Californie, il reste à passer aux actes et à ranger les Suv’s et autres Pick-Up au musée de l’automobile. Mais « the American way of life » en prendra un sacré coup.

                Alors les incitations, les taxes, les impôts et les permis d’émissions que viennent-ils faire ?

                Ils permettent tout simplement d’anticiper la hausse des cours. Mais fondamentalement, vu du consommateur, hausse ou baisse des prix, incitations, taxes, permis d’émissions ont finalement le même effet. Nos colbertistes parlent toujours comme si le monde était figé et que seules les taxes peuvent moduler le rapport offre / demande. En fait elles viennent se rajouter au Marché, elles le gauchissent en bien ou en mal.

                Pour les taxes nous avons depuis des lustres la TIPP (Taxe intérieure sur les produits pétroliers) et son équivalent sur le gaz naturel (TICGN) qui représente un impôt sur le pétrole de 18 milliards d’euros dans le budget 2007. C’est de l’avis des spécialistes la seule taxe française écologique vraiment efficace et de loin. Il est évident que cette taxe a joué un grand rôle en France pour favoriser l’apparition de véhicules de faibles tailles, de faibles masses et de motorisations économes en énergie. Faudra-t-il l’étendre au charbon et au kérosène ? Sûrement pour ne pas fausser la concurrence. Faudra-t-il la moduler pour assurer une croissance régulière des prix de l’énergie. Peut-être, mais les prix de marché vont assurer cette hausse qui sera peut-être trop brusque. Alors la recommandation « Attribuer au carbone un prix en croissance régulière, jusqu’à la réduction par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre, constitue la colonne vertébrale de la révolution écologique autour de laquelle nous devons désormais nous organiser. » sera peut-être inutile. Le carbone sera cher parce qu’il sera rare, trop rapidement parti en fumée.

Commentaires

5 réponses à “Donner un prix, en croissance régulière, au carbone.”

  1. Avatar de Kad
    Kad

    Je suis globalement d’accord avec nous, sauf que tout le carbone ne sera pas rare. Le charbon est encore largement present sur notre planete et malheureusement, c’est le produit le plus polluant. Il faudra donc des taxes pour diminuer son usage.

  2. Avatar de Raymond
    Raymond

    Oui, les taxes feront décroître la demande en produits énergétiques carbo-polluants. Mais les prix aussi, s’ils croîssent. Et ce que je pense, c’est qu’ils vont tellement croître, que les taxes seront inutiles ou au mieux superflues. Les taxes ne sont qu’une composante du prix global. On n’a pas le droit d’ignorer le marché pour bâtir une politique énergétique cohérente.

  3. Avatar de Kad
    Kad

    Pour le charbon, je ne pense pas qu’il y ait de pression sur les prix a la hausse. Le produit est encore trop repondu sur Terre. D’ou la necessite d’avoir une taxe forte sur ce produit carbo-polluant. Pour le petrole et gaz, je suis d’avis comme vous que le marche va s’en charger :o)

  4. Avatar de Vincent BRYANT
    Vincent BRYANT

    Bonjour,
    Permettez-moi d’ajouter quelques cordes à cet arc de la fiscalité.
    L’avantage de l’augmentation des prix des énergies fossiles par la fiscalité est double.
    La fiscalité permet tout d’abord d’anticiper l’augmentation des prix de l’énergie, de gagner du temps. Plus vite cette taxe est en place plus vite un signal fort est donné sur le Marché. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille faire augmenter trop vite cette taxe, mais juste la faire augmenter plus vite que l’inflation (d’un point ou deux).
    D’autre part, plus la taxe sera une composante importante du prix final des hydrocarbures et autres produits dérivés, plus les Etats pourront moduler cette part pour lisser les variations du Marché que l’on connaît rarement attendues et linéaires et plus souvent soudaines et brusques.
    Ensuite, votre analyse part du postulat que l’augmentation actuelle des prix des hydrocarbures est soutenue « par une stimulation de l’offre due à une crainte virtuelle de rupture d’approvisionnement ». Ceci n’est ni plus ni moins que votre interprétation.
    Quid des capacités limitées des raffineries ? du manque prégant d’investissement ? de la renaissance des pétrolières d’Etat ? Quid de la demande mondiale ? Quid des risques de ruptures locales d’approvisionnement en Irak, ou en Iran ? Quid des ruptures d’approvisionnement dues aux ouragans (ou risques d’ouragans), à certains producteurs d’Afrique ou encore aux soucis rencontrés sur certaines plateformes d’extraction (BP au hasard) ? etc etc
    Je doute en effet fortement que la « crainte virtuelle de rupture d’approvisionnement » ait un impact supérieur à quelques points dans la « responsabilité » de l’envolée des cours depuis 2002.
    D’ailleurs, si tel était le cas (si le Marché avait conscience que la dépletion commence d’ici quelques années), les prix seraient des niveaux tout autres. En effet le Marché sait pertinemment, faut-il l’espérer, qu’il n’existe actuellement aucun substitut aux hydrocarbures généralisables à grande échelle et que toute nouvelle technologie énergétique met plusieurs dizaines d’années avant de pouvoir se globaliser. Alors à moins que le Marché parie sur le Charbon …
    Enfin aussi essentiel que soit le Marché aujourd’hui, il y a des externalités que celui-ci n’a jamais su internaliser. Il n’est pas question ici d’idéologie mais de pragmatisme. Le Marché n’a jamais été capable de saisir qu’il évoluait dans un environnement fini. Sinon, nombre de ressources naturelles, minières, fossiles, énergétiques auraient un tout autre prix et nous n’en serions pas actuellement à réparer les pots cassés (pollutions des eaux et des ols irréversibles, disparition d’espèces commes les abeilles, raréfaction des hydrocarbures et des métaux, déforestation massive, etc).
    Le Marché n’est pas parfait, car sa composante intrinsèque est l’Homme, il est donc essentiel que ce soit l’Homme qui lui donne les nouvelles règles, qu’il avait omises jusqu’ici. Comment ? en le régulant.

  5. Avatar de Raymond
    Raymond

    Je vous remercie de détailler les mille et unes raisons qui font que le marché des produits pétroliers a peur de manquer de ressources. Mais cette peur n’est pour l’instant que virtuelle puisque la demande croît chaque année à un rythme moyen de 1,3 millions de barils par jour et qu’elle trouve sa contrepartie, avec une OPEP qui fait, encore, de la rétention de mise sur le marché. (vous aviez oublié l’OPEP dans la liste des avatars)
    Les taxes permettant d’anticiper l’augmentation des prix de l’énergie: l’exemple de la TIPP que je prends illustre parfaitement ce point de vue que je partage avec vous.
    Le marché méconnait les externalités. Oui bien sûr. Mais pensez-vous que certains de nos coriaces concurrents les connaissent?
    Mon seul propos était d’attirer l’attention de certains économistes distingués, férus du coût nécessaire à donner aux externalités au Marché, sur le fait que d’introduire une taxe supplémentaire sur des produits dont les prix vont bon train n’était peut-être pas très opportun.
    Quand à l’Etat qui va moduler ses prélèvements en fonction des prix de Marché, laissez moi l’option du doute.
    Il va être, sûrement, préconisé de faire remonter le sujet au niveau de l’Europe. Alors soyez sûr que les prix de Marché viendront à votre secours bien avant que toute décision soit prise.
    A suivre, et si j’ai tort tant mieux!

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