Au gré des lectures de blogs plutôt verts, on peut apprendre que la biomasse sert de combustible dans les cheminées, les chaudières et les centrales au charbon, qu’elle permet de produire depuis Noé de l’éthanol, puis qu’elle va bientôt nous permettre d’obtenir de l’essence verte grâce à des enzymes gloutons qui vont couper les ligno-celluloses en sucres alors que d’autres enzymes transformeront ces mêmes sucres en alcools, enfin, plus tard par des réactions de type Fischer-Tropsch cette biomasse permettra de produire de grandes quantités de carburants ou d »Hydrogène qui alimentera des Piles à Combustibles devenues miraculeusement peu chères et électriquement efficaces. Bien sûr cette brave biomasse continuera, entre temps, à alimenter les populations de plus en plus nombreuses et exigeantes en apports de protéines. Les progrès de l’agriculture, la sélection de nouveaux plants par les techniques génétiques modernes, les apports mesurés d’eau et d’engrais permettront à l’ensemble de la filière de progresser et de s’adapter aux besoins de l’humanité.
Tel est le tableau idyllique que certains nous décrivent, en prêchant l’abandon de filières énergétiques d’un âge sauvage et attardé telles que le nucléaire ou, assez curieusement, la production d’alcool de maïs qui n’a pas la cote. Le Bourbon ne serait pas un produit estampillé du greenbusiness?
Alors pour essayer de descendre du petit nuage et de remettre les pieds sur terre, comme les lecteurs de ce blog doivent plutôt être plutôt francophones, je vais prendre l’exemple de la Forêt des Landes et supposer la création de centrales électriques très modernes qui brûleraient tout le bois produit dans les Landes. Cela permettrait d’arrêter les productions des papèteries qui puent, de la centrale nucléaire de Golfech située le long de la Garonne et rendrait inutile le projet de terminal de regazéification de gaz naturel liquéfié dans l’estuaire de la Gironde qui énerve tant nos écolos allergiques aux MacDos et à l’Eau de Javel. Super programme écolo me direz-vous, il fallait y penser!
Mais avant d’aller plus loin dans ce projet génial je vous propose de vérifier ensemble la faisabilité de ce projet révolutionnaire. Simple formalité.
Cette forêt plantée au XIXème siècle présente une surface boisée de 550 mille hectares, à 90% de pin maritime. Le volume de bois sur pied est estimé par la DDA de la Forêt des Landes à 82 millions de m3 de conifères et 12 millions de m3 de feuillus. La production de bois en 2005 a été de 4,2 millions de m3. Sur la base d’une densité de bois sec de 0,55 (mélange de pin et de chêne) et d’une énergie de combustion de 5000 kWh par tonne de bois sec (ou 18 Gjoule par tonne), il serait possible en brûlant tout le bois produit par la Forêt des Landes d’obtenir une énergie thermique de 11,5 TWh par an.
En supposant des centrales thermiques modernes présentant un rendement de Carnot de 50% ce sont donc 5,8 TWh d’énergie électrique qui seraient générés annuellement par cette combustion grandiose. C’est le pied!
Comparons cette production théorique à ce que génère une vielle tranche nucléaire de 1200 MW qui fonctionne avec un taux de charge annuel moyen de 70%. Son énergie électrique annuelle produite est de : 1200 x 24 x 365 x 0,7 x 1E-6 = 7,4 TWh. Grande déception!
La combustion de tout le bois exploité annuellement dans la Forêt des Landes (6300 tonnes de bois sec par jour) permettrait de remplacer un peu plus de 78% d’une tranche nucléaire de 1200MW.
La production française ayant été en 2005 de 56,6 millions de m3 de bois, en prenant les mêmes hypothèses de calcul, il est possible de déduire que la combustion de tout le bois exploité en France permettrait de générer dans les 78 TWh d’énergie électrique par an. L’ensemble des centrales nucléaires françaises a généré 418 TWh d’énergie électrique en 2008. Tels sont les ordres de grandeur.
Pour comprendre l’ampleur des problèmes posés par la modification de la ressource énergétique d’un pays, il faut avoir à l’esprit ce genre de comparaison chiffrée. Cela veut dire que l’on ne peut pas du jour au lendemain radicalement modifier un mix énergétique d’un grand pays consommateur d’énergie par n’importe quelle solution, fût-elle déclarée écologique.
Le corollaire de cette démonstration manquée est que la biomasse va pouvoir participer au mix énergétique comme elle le fait d’ailleurs en ce moment, mais de façon très limitée. Se chauffer au bois, brûler des résidus de bois dans les centrales à charbon, faire de l’éthanol à partir de canne à sucre ou de maïs sont des contributions qui ont représenté dans les 5% du bilan énergétique mondial en 2007. Cette contribution pourra être accrue dans le futur de quelques points de pourcent supplémentaires, mais il serait illusoire de penser qu’elle puisse participer au mix énergétique de la planète de façon prépondérante, sinon en remplaçant toutes les forêts par d’immenses champs de Miscanthus et autres switchgrass. Il faudra donc localement choisir entre les applications à privilégier soit brûler le bois, soit faire des carburants, soit faire de l’hydrogène.
Le bon sens indique que les procédés les plus simples, les moins « chimiques », les plus agricoles pour de simples raisons de logistique, seront sûrement les meilleurs. Ceci rend les synthèses de type Ficher Tropsch à partir de biomasse, étudiées par exemple en Allemagne par Choren ou Lurgi, assez illusoires sinon utopiques. Le premier ne se pose pas la question d’approvisionnement en matière première, le second passe par le biooil produit localement et acheminé vers une grande usine chimique mais sans trop regarder les conséquences sur les autres applications de la biomasse et aux perturbations de marché qu’une telle collecte génèrerait.
La biomasse est une ressource annuelle limitée, son exploitation raisonnable imposera des choix de filières. Si l’une s’impose, d’autres disparaîtront.
Le 9 Mai 2009.
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