D’où vient l’incohérence des messages d’efficacité énergétique et des prévisions incessantes de croissance des consommations de pétrole?

 Il est un point sur lequel les officines de tous poils chargées des prévisions sur l’évolution des consommations de pétrole (Agence Internationale de l’Energie, OPEP, Energy Information Administration, CERA,…) sont globalement d’accord: c’est la croissance inexorable des consommations mondiales de pétrole dans les années à venir. Et pourtant! Une approche analytique de ces consommations, prenant en compte les principaux paramètres qui agissent sur la demande, ne conduit pas forcément à rejoindre cette unicité de vue. Le CERA qui vient d’actualiser ses prévisions et qui n’avait pas vu venir la crise dans les années antérieures, affirme que tout va repartir comme avant. Pour cet organisme regroupant d’éminents penseurs dignes du plus grand respect, les consommations de pétrole dans le monde vont repartir à la hausse tirées par le poste Transports et essentiellement dans les pays NON OCDE. Les consommations en 2012 prévues à 86,5 millions de barils/jour devraient retrouver leur niveau le plus haut de 2007. Puis elles devraient poursuivre leur croissance pour atteindre 89,1 millions de barils/jour en 2014. Cette croissance en 5 ans de 5,3 millions de barils/jour, par rapport à une base 2009 à 83,8 millions de barils/jour, serait imputable pour 4,4 millions aux pays NON OCDE (dont 1,6 millions pour la Chine) et pour 0,9 million aux pays membres de l’OCDE.

    Une méthode très sévère pour juger de la pertinence des prévisions de n’importe quelle officine, consiste à les comparer à celles réalisées précédemment. Un tel exercice réalisé pour celles du CERA est assez destructeur (FIG.). Il apparaît, en effet, qu’en 2008, le CERA avait surestimé les consommations mondiales 2009 de 1,7 million de baril/jour. L’exercice 2009 reprend grosso-modo celui de 2008 translaté globalement vers le bas de 2 millions de barils/jour. Est-ce bien raisonnable?

CERA-previsions-2009-2014 

Je pense que toutes ces prévisions ne sont pas très pertinentes et qu’elles pâtissent d’un manque d’approche analytique qui essaierait de bien peser les plus et les moins prévisibles.

Le premier paramètre à prendre en compte est l’effet prix. Une reprise franche à la hausse des consommations, même si les productions mobilisables sont importantes, se traduira par une montée des prix des carburants. Or, 2008 nous a appris combien la consommation en carburants était sensible à ce paramètre. Les Etats-Unis sortent tout juste d’une réduction du trafic routier de 4% en un peu plus d’un an (LIRE).

Le deuxième paramètre dans les pays OCDE porte sur le vieillissement de populations urbanisées dont la possession d’un véhicule sera de moins en moins pertinente. Ce phénomène est déjà une réalité au Japon qui voit son parc automobile décroître. Il le sera demain en Allemagne.

Le troisième paramètre, sûrement le plus important est le formidable changement de pied marketing de l’industrie automobile mondiale, qui vous vendait hier sans vergogne d’obséqieux 4X4 et qui va vous vendre demain des véhicules de plus en plus légers, de moins en moins polluants, aux consommations de carburants et aux rejets de CO2 les plus faibles. Cette nouvelle approche, appuyée par des incitations de types Bonus-Malus ou autres primes à la casse, va se concrétiser par le fait que les consommations moyennes des véhicules vendus dans l’année vont être très largement inférieures à celles des véhicules mis à la casse. On l’a clairement chiffré pour l’opération d’un mois Cash for Clunkers américaine (LIRE) ou les 690 mille vieux tromblons mis à la casse consommaient près de 15 litres aux cent km quand ils étaient neufs!

Un calcul simple des consommations d’un parc automobile P pour un trajet annuel moyen constant T en km et un consommation moyenne en litres aux cent km Cm vous permet d’écrire la quantité QN en litres de carburant brûlée dans l’année N:

Q N = P x T x Cm/100

Si l’on appelle r le taux annuel de renouvellement du parc et v le taux annuel de croissance de ce parc avec de nouveaux véhicules plus sobres en carburants, présentant une consommation C. On peut écrire que la consommation de l’année N+1 est égale à la somme des consommations du vieux parc restant P(1-r) plus la consommations des voitures de l’année P(r+v), soit en première approximation :

Q N+1 = P (1-r) x T x Cm/100 + P(r+v) x T x C/100

La variation de consommation entre l’année n et l’année N+1 sera donc:

Q N+1 – Q N = (rC – rCm+ vC)PT/100

On voit que la consommation du parc de l’année N+1 décroît si:

Cm/C > 1 + v/r

Pour les pays membres de l’OCDE si l’on admet que la croissance du parc automobile v est d’environ 1% par an et le taux annuel de renouvellement r du parc d’au moins 6% on en déduit que Cm/C doit être supérieur à 1,17 ou que la consommation moyenne des voitures mises en circulation dans l’année soit inférieure à 86% de la consommation moyenne du parc en place. Les nombreux 4X4 américains, les grosses voitures du Nord de l’Europe sont là pour nous assurer que cette condition sera largement satisfaite dans les dix à quinze ans à venir. Il est clair que pour un trafic moyen sensiblement constant, les consommations globales de carburants des véhicules au sein de l’OCDE vont décroître dans les 5 ans à venir. La croissance de consommation 0,9 millions de barils/jour prévue par le CERA n’a aucun sens.

Pour le Monde, en supposant que les productions mondiales remontent rapidement à 60 millions de véhicules, soit un (r+v) de 6 à 7% des 900 millions de véhicules du parc mondial, et en supposant que la moitié de ces véhicules remplacent des véhicules détruits. Dans ce cadre où r = v = 3%, pour que la consommation globale mondiale en carburant se stabilise, il faudrait que Cm/C soit égal à 2, ou que la consommation moyenne des nouveaux véhicules soit égale à la moitié de celle du parc existant.

Ce n’est pas une condition hors de portée. Les incitations gouvernementales du style Bonus-Malus, ou autres mesures fiscales ciblées orientent les choix vers des véhicules peu gourmands en carburants. L’arrivée des véhicules électriques profitant d’aides financières partout dans le monde, même en Chine où BYD par exemple réclame leur mise en place, va également agir radicalement sur la consommation moyenne des véhicules neufs. Les primes à la casse, même de durées limitées, permettent de détruire les véhicules les plus polluants. La mise en place de politiques volontaristes associées à des démarches des constructeurs dans le même sens peut fortement agir largement sur les consommations moyennes des véhicules neufs. Un ratio Cm/C de 1,5 qui correspondrait à des consommations de véhicules neufs aux 2/3 de celles des véhicules plus anciens conduit à un accroissement des consommations de carburants d’un pourcent par an. Sur 5 ans ceci se traduirait par une augmentation des consommations de pétrole de 3 à 5%. Alors disons qu’une demande mondiale autour de 85 à 86 millions de barils/jour en 2014, serait une hypothèse plus raisonnable que celle actualisée, à la baisse, du CERA.

Cela veut dire tout simplement que les baisses de consommations moyennes des nouveaux véhicules mis sur le marché dans le monde, vont sensiblement compenser les augmentations du nombre de véhicules attendues dans les pays NON OCDE comme la Chine, l’Inde et le Moyen-Orient.

LIRE le résumé des prévisions du CERA

Le 13 Septembre 2009.

Commentaires

Une réponse à “D’où vient l’incohérence des messages d’efficacité énergétique et des prévisions incessantes de croissance des consommations de pétrole?”

  1. Avatar de ray
    ray

    Mais finalement certains membres du CERA doivent lire le Blog Energie puisqu’on peut lire sur leur site en date du 13 Octobre 2009:
    « CAMBRIDGE, Mass. (October 13, 2009) –Oil demand in developed countries—currently 54 percent of all oil demand—likely reached its all-time peak in 2005, according to a new research report by IHS Cambridge Energy Research Associates. While world oil demand is now set to grow as the world economy moves from recession to recovery, the demand lost in 30 developed countries that make up the Organization for Economic Cooperation and Development (OECD) is not likely to ever be regained, the report finds.
    “The economic downturn has been masking a larger trend in the oil demand of developed countries,” said IHS CERA Chairman and Pulitzer Prize-winning author of The Prize, Daniel Yergin. “The fact is that OECD oil demand has been falling since late 2005, well before the Great Recession began.”
    The key factor making it unlikely for OECD demand to ever return to its 2005 peak is that petroleum demand in the transportation sector—which accounts for 60 percent of OECD petroleum demand—is likely to flatten out after years of steady growth. Oil demand outside the transportation sector has already been relatively flat since 1980. Now the conjunction of several long-term factors is doing the same to transportation:
    •Demographic and socioeconomic changes – Vehicle ownership rates in developed countries have reached a “saturation” level while aging populations with low to negative population growth suggests a flattening of demand for mobility. The growth of women’s participation in the labor force is also leveling off, meaning the flattening of another source of demand growth.
    •Stronger governmental and consumer push for passenger vehicle fuel economy gains – Energy security concerns and climate change initiatives have led OECD governments to tighten fuel economy standards. The rise in energy prices over the past several years has pushed consumers to value increased efficiency and the auto industry through a major reorientation toward greater efficiency.
    •Greater penetration of alternative fuels and vehicle technologies – Governments across the OECD continue to favor mandates that increase the share of alternative fuels in the transportation sector. New technologies such as plug-in hybrid electric vehicles and next-generation biofuels could also have a greater impact in the future.
    “Petroleum for transportation has been the single driving force behind OECD oil demand for the past two decades,” said Aaron Brady, IHS CERA Director, Global Oil. “After the oil crisis of the early 1980s the nontransportation sector turned to readily available substitutes like coal, gas or nuclear power. Now we are seeing the tempering of the last significant driver of oil demand in developed countries—petroleum for transportation.”
    Future world oil demand growth will be driven almost exclusively by emerging markets. The latest IHS CERA World Oil Watch expects oil demand to increase from 83.8 mbd in 2009 to 89.1 mbd in 2014. 83 percent (4.4 mbd) will come from non-OECD countries. China alone is expected to account for 1.6 mbd of cumulative growth. Just 900,000 bpd of growth is expected to come from OECD countries, just a fraction of the 3.7 million bpd of demand lost over the course of 2005 to 2009.
    But the peak of OECD oil demand does not mean that the end of the oil age in these developed economies is imminent, the report finds. The size of the decline in oil demand from the peak year of 2005 to 2030 is expected to be fairly modest, says Brady, assuming that some demand rebounds over the next few years.
    “The reason for a modest decline is that although the potential for demand growth has diminished so has the potential, at least in the short to medium term, for large-scale substitution away from petroleum,” he said. “Today’s alternative fuels and technologies can only gain market share slowly owing to the slow turnover of the cars, trucks and airplanes that use petroleum. Petroleum will still be the dominant fuel for transportation 25 years from now, although other sources of energy will likely have captured a growing foothold in transportation.”
    Regardless if the decline is modest, the peak of OECD demand will have major implications, the report finds. Peak demand will dampen the rate of increase in dependency on oil imports. It likewise could also help make economic growth in those countries less susceptible to oil price shocks. Finally, peak OECD demand could counteract the expected rapid demand growth in the developing world. »
    A part les chiffres qui sont contestables, le commentaire est excellent.
    BRAVO le CERA!

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