Un cas d’école: le champ pétrolier californien de la Kern River

L’étude des productions de pétrole du champ pétrolier californien de la Kern River découvert il ya maintenant 110 ans est un cas d’école qui permet aux aficionados du peak oil de démontrer la validité de leurs prédictions mais qui permet aussi à des opinions plus progressistes de démonter la fragilité de ces démarches théoriques, dans un monde aux technologies et aux conditions économiques en perpétuelle évolution. Le cas du gisement de la Kern River est pris en exemple par Maugeri (LIRE) pour illustrer l’évolution des technologies d’exploitation pétrolières depuis 50 ans. En 1942 on estimait alors les ressources ultimes de ce pétrole à très forte viscosité aux environs de 350 millions de barils. Mais à partir de 1960 la mise en route progressive des techniques de récupérations des huiles visqueuses par des injections de vapeur d’eau a fait bondir les productions de quelques millions de barils par an à plus de 45 millions de barils par an entre 1980 et 2000. En 1986 un milliard de barils avait été extrait du sol depuis le tout début de l’exploitation et l’on estimait les réserves 2P (prouvées et probables) à un milliard de barils supplémentaires. En 2007 Chevron a annoncé que 2 milliards de barils avaient été extraits du sol, avec des réserves estimées à 600 millions de barils (FIG.I).

Kern-River-reserves 

Ce formidable résultat montre comment durant les 50 dernières années les prévisions ont pu être fragiles et rapidement démenties par l’ingéniosité des hommes de terrain. Aujourd’hui tout le monde est d’accord sur un point: on retirera de la Kern River AU MOINS 2,5 milliards de barils. Jean Laherrère montre avec ses courbes de productions annuelles en fonction des production cumulées, que la droite tracée entre 1999 et 2007 plonge vers 2,5 milliards de barils. Voila pour la photographie instantanée prise en 2008, avec une déplétion estimée par Laherrère à 6% par an.

 Mais, au delà de ces approches théoriques, il est des remarques importantes à énoncer: depuis 2007 les cours du pétrole ont été complètement chamboulés, les technologies de forages horizontaux et de fracturation ont démontré leur efficacité dans des schistes bitumineux, l’injection de CO2 va être financièrement encouragée par les autorités de l’Etat de Californie et le Gouvernement Fédéral, l’utilisation de surfactants ou de micro-organismes avec un pétrole cher sera peut-être un jour payante. En bref les technologies ne sont pas figées, Dieu soit loué, une bonne fois pour toutes et les conditions économiques doivent encourager à aller vers plus de sophistication technologique. Il est donc probable que les hommes de terrain, dans les années à venir, vont tout faire pour extraire de cette éponge le maximum de produit. Alors au lieu de regarder les productions à la louche (-6% par an!) il est intéressant de déceler les éventuels progrès observables. Sur le dernier point des productions 2008 de ce champ, publié par le Department of Conservation de Californie. Il est possible de déceler entre 2002 et 2006 une déplétion de 5,3% par an mais aussi l’amorce à partir de 2007 d’un changement de pente (FIG.II). Tiens, ne serait-ce pas l’effet de la mise en route de forages horizontaux qui permettent de mettre au plus près injection de vapeur et récupération et de mieux traverser les nappes pétrolifères. Allez donc savoir?  Quoiqu’il en soit quelque chose a été modifié dans l’énoncé du problème. Zut alors! 

Kern-River-rprod-2002-2008

 Rejoignant la démarche intellectuelle de Maugeri, on peut estimer qu’il reste encore enfouis dans les 4 à 5 milliards de barils de pétroles de ce gisement qui devait en contenir initialement 6 à 7 milliards. En supposant que la technologie permette de retirer 50% du pétrole enfoui, ce sont donc des ressources ultimes d’au moins 3 milliards de barils qui seront envisageables à l’horizon 2030.

VOIR les courbes de Jean Laherrère sur le sujet.

Le 27 Septembre 2009

Commentaires

11 réponses à “Un cas d’école: le champ pétrolier californien de la Kern River”

  1. Avatar de arthur

    « qui permet aux aficionados du peak oil de démontrer la validité de leurs prédictions mais qui permet aussi à des opinions plus progressistes de démonter la fragilité de ces démarches théoriques, »
    lol, les « aficionados du peak oil ».
    Mais le peak oil est une banalité, une trivialité ma pauvre raymonde, d’un niveau mathématiques école primaire, collège tout au plus, aucune grande théorie là dedans, juste une question de date et de cout d’extraction, et si au début du pétrole 1 baril en produisait 100, c’est plutôt de l’ordre de 1 pour 2 ou 2 pour 3 dans le cas des sables bitumineux, voilà tout.

  2. Avatar de Loran
    Loran

    Bonjour Arthur
    votre propos pourrait etre interessant, il y a surement des gens tres intelligent qui ne sont pas d’accord avec le propriétaire de ce blog. Mais les insultes n’ont jamais servi d’arguments. J’aurais même tendance à penser que c’est l’inverse.
    Loran (qui n’a rien a voir avec le gérant…)

  3. Avatar de arthur

    « Mais les insultes n’ont jamais servi d’arguments. J’aurais même tendance à penser que c’est l’inverse. »
    Vous avez raison

  4. Avatar de arthur

    Et mes excuses au gérant, simplement qualifier « d’opinions plus progressistes » ce qui est plus un aveuglement face à la réalité des chiffres de productions (et de déplétion quasi générale, voir Cantarell par exemple) peut porter à confusion

  5. Avatar de Berthier
    Berthier

    Oui, la production de ce champ décroît moins vite que prévue, c’est une bonne nouvelle. Il faut voir les chiffres globaux.
    Yves Mathieu (IFP 2006) a fait une projection incluant les modes de productions primaires, secondaires et tertiaires: il y aura une forte proportion de récupération tertiaire aux États-Unis mais beaucoup moins ailleurs. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais il doit il y avoir une raison : par exemple en Arabie, on maintient la pression avec injection d’eau, est-ce qu’on tout réchauffer à la vapeur après ? va-t-on injecter du CO2 ? ne risque-t-on pas plutôt de faire du Perrier plutot que de l’EOR.
    Donc les EU vont faire plein de succès technologiques mais seront-ils généralisables ?

  6. Avatar de ray
    ray

    Par définition il est IMPOSSIBLE de réaliser une prévision puisqu’on NE CONNAIT PAS l’évolution des techniques qui seront mises en oeuvre dans 50 ans ou 100 ans, ni quelles seront les conditions économiques futures qui sont les deux paramètres clés du taux d’extraction du pétrole d’un gisement. C’est la raison pour laquelle j’aime bien la démarche intellectuelle de Maugeri qui pose la question: « où en serons nous en 2030? », en se projetant à 20 ans avec l’utilisation des technologies de pointes actuelles. Pour lui, globalement l’industrie devrait atteindre un taux supérieur à 50%, avec bien sûr d’énormes contraintes politiques qui tendront à s’opposer. Mais en 2030 il est certain qu’il faudra se poser la question sur la situation en 2050 avec un cahier des charges totalement modifié. C’est cette dynamique de progrès technique et économique qui est importante et que les peakistes les plus radicaux passent par zéro. Affirmer qu’on exploitera 2000 milliards de barils et qu’on en laissera 5000 ou 7000 milliards dans le sol ne me semble ni raisonnable, ni réaliste, dans les conditions techniques et économiques actuelles. Lorsque Campbell et Laherrère établirent leur théorie du peak oil en 1998 on venait d’un baril à 20$ en 96, à 18$ en 97 et à 12$ en 98. Tout mode sophistiqué d’exploitation semblait alors illusoire. Les conditions économiques actuelles percutent donc cette approche qui correspondait à un moment de la vie économique où l’énergie ne coûtait presque rien.

  7. Avatar de arthur

    « C’est cette dynamique de progrès technique et économique qui est importante et que les peakistes les plus radicaux passent par zéro. »
    Non, les taux de déplétion des champs actuels sont connus, d’autre part les progrés technologiques (bien expliqués par Lahérerre), permettent le plus souvent d’améliorer la vitesse d’extraction, sans changer les taux de récupérations ultimes.
    Et puis bien sûr l’EROEI, qui est ce qu’il est dans ces pétroles difficiles, voir les sables bitumineux par exemple.
    Que l’on atteigne le peak avant 2030 (si ce n’est pas déjà fait), est une quasi certitude (le pic du conventionnel lui est passé, c’est clair).

  8. Avatar de arthur

    C’est toujours pareil, le pic pétrolier est une notion de flux, de niveau de production, de nombres de millions de barils produits consommés par jour, et non du volume de réserves plus ou moins récupérables

  9. Avatar de JP
    JP

    Raymond, je pense à l’inverse de vous qu’il est raisonnable de prétendre prédire l’évolution des techniques pour le 21ème siècle: il n’y aura aucune révolution, juste des petits gains marginaux d’efficacité, du genre 2% par an, comme dans toutes les technologies parvenues à maturité.
    D’ailleurs il n’y a jamais vraiment eu de révolution technique (dans le sens d’une révolution scientifique avec changement de paradigme). Quels furent les « révolutions » du 20ème siècle? On a réussi à forer à l’horizontale, à forer profond, à fracturer, à chauffer, à mettre sous pression. Mais il n’y a eu là aucune idée révolutionnaire, juste des idées simples, évidentes, probablement déjà imaginées dès le 19ème siècle, il suffisait de parvenir à les mettre en oeuvre. Il n’y a pas eu de progrès d’une autre nature, et donc s’il devait y avoir d’autres « révolution » dans le futur, on peut raisonnablement prédire qu’il ne s’agira là encore que de réussir à mettre en oeuvre une idée simple et évidente.
    Sauf que:
    je ne vois pas quelle idée reste encore à développer.
    Le forage en tire-bouchon?
    – – – – – –
    D’autre part, peut on réellement considérer que le ralentissement de la chute de production est une modification de l’énoncé du problème? J’y vois , disons, une modification de l’énoncé de ses conséquences, mais une confirmation du problème posé.
    Car enfin, si par exemple on parvient à limiter les dégats dans ce gisement californien, ce n’est pas en raison d’une innovation technologique (qui aurait changé l’énoncé), mais c’est surtout parce que cette technologie, pas si neuve, est devenue rentable à cause de la rareté du produit due à l’essouflement généralisé des gisements.
    Autrement dit, le remède n’est que partiellement efficace contre la maladie, on ne peut plus la nier (puisqu’on soigne comme on peut).

  10. Avatar de ray
    ray

    JP vous avez une compréhension du développement industriel digne de celle d’un polytechnicien ou pire…je ne voudrais pas être inutilement offensant…d’un énarque. Effectivement ce sont par les petits progrès qu’évoluent les technologies. Mais faire fonctionner une sonde à 5°C ou 10°C de plus que la précédente pour pouvoir forer à 500m ou 1000 mètres plus profond demande parfois de grandes évolutions technologiques. Je suis persuadé que les grandes découvertes réalisées sous les couches de sel au Brésil auraient été impensables il y a dix ans. Les forages se seraient arrêtés au milieu de la couche de sel.
    Alors en accord avec vos vues je suis d’accord que rien ne change mais que tout évolue. C’est dans cette évolution lente mais irrésistible des technologies que l’homme s’adaptera aux situations nouvelles, avec ou sans pétrole, peu importe.

  11. Avatar de JP
    JP

    Mais supposons donc que les découvertes brésiliennes n’auraient pu être faites il y a dix ans. Vous savez comme moi qu’il y a là l’équivalent d’un tout petit nombre d’années de consommation mondiale. Il n’y a pas ici de gisements comparables aux géants du Moyen-Orient. On ne trouvera jamais plus de tels, puisque par définition ces gisements étant les plus faciles à découvrir, ils sont tous connus depuis longtemps.
    Alors vous voyez bien que même si vous me dites qu’il a fallu de la chimie révolutionnaire pour pour que la sonde… (température, …etc), il n’y a aucune modification des bases du problème.
    Peut-être aurais-je du être plus explicite en disant qu’il n’y avait pas de révolution dans l’industrie pétrolière. Il n’est pas trop tard pour ce faire:
    Songez par exemple à l’électronique: là je considère qu’il y a eu une révolution qui a bouleversé les données, lorsque fut créé le circuit intégré. Il y a un avant, et un après. Ce n’est au fond plus la même industrie. Pour prendre un exemple terre à terre, le pouvoir d’achat d’un particulier lui donnait accès à des systèmes électroniques composés de quelques dizaines de composants. Au mieux, l’automation de la production aurait pu permettre d’aller jusqu’à quelques centaines. Mais le circuit intégré fait qu’aujourd’hui, vous avez pour le même cout l’équivalent de centaines de millions de composants dans le moindre ordinateur, et des appareils d’une très grande complexité comme les GPS ou les GSM qui font les têtes de gondole des hypermarchés.
    Bref, voila un domaine où les données du problème ont pu être totalement bouleversées sans que l’on ait pu le prévoir à l’avance.
    Mais l’extraction pétrolière? Comme vous le dites d’ailleurs plus ou moins, ses petites évolutions continuelles dépendent d’une foultitude de progrès réalisés dans d’autres domaines. C’est donc une accumulation d’améliorations petites ou moyennes. Il y a surement des années plus fécondes, et d’autres moins, mais aucune raison que la tendance lourde s’accélère, même quand le pétrole vaudra de l’or, parceque au fond ce ne sont pas les chercheurs de l’industrie pétrolière qui commandent le rythme de création des nouveaux outils de leur industrie, mais les chercheurs des industries chimiques, métallurgiques, électroniques, informatiques.
    Sinon, je ne vois pas vraiment pourquoi vous me comparez à un énarque. Vous trouvez que j’intellectualise beaucoup la question? Moui. Disons que les sciences humaines m’intéressant autant que la technique, j’ai forcément bien regardé ce que disaient la sociologie, la philo et l’histoire des sciences et techniques. Peut-être m’en est-t-il resté une manière de réfléchir qui serait inhabituelle pour un pur technicien.

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