Les grandes questions que vont devoir aborder les délégués du GIEC à Bali

 Du 26 au 29 Octobre à Bali va se tenir la 31ème Session Pléniaire de l’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change), plus connu en Français sous le doux acronyme de GIEC. Ce Groupe d’experts va devoir tout d’abord revoir les chiffres d’émissions gaz à effets de serres (GHG) et plus particulièrement ceux de dioxyde de carbone qu’il manipule. Il serait même indispensable qu’il se projette vers 2014 ou 2016 pour élaborer ses données compte tenu de l’inertie des décisions et des actions dans le domaine énergétique. Les centrales au charbon indiennes ou chinoises en cours de construction émettront inéluctablement leur gaz carbonique dans deux ou trois ans. Alors ces experts peuvent tabler sur des émissions qui atteindront les 36 milliards de tonnes de gaz vers 2014, malgré un certain infléchissement du rythme de progression en raison de la crise économique en 2009 (FIG.). 

CO2-1980-2016

 Traditionnellement ces experts ajoutent à ces émissions anthropiques identifiées avec une bonne précision, une émission « forfaitaire » de 5,5 milliards de tonnes de CO2 (1,5 milliards de tonnes de Carbone) due à aux changements dans l’utilisation des sols (LUC ou Land Utilisation Change) qui englobe en particulier les déforestation des grandes forêts équatoriales. Sans vouloir minimiser la gravité de ces destructions et des émissions liées qu’il faut réduire de toute évidence, leur part dans les émissions globales de CO2 admises par tous comme représentant 20% des émissions, n’en représenteront plus que 13% en 2014. En comparaison, les émissions de CO2  dues à la combustion de lignite et de charbon représentaient, avec 12 milliards de tonnes, 40% des émissions totales en 2006 (EIA). Elles devraient tendre vers 50% des émissions dans les années à venir. Le GIEC ne peut pas ne pas pousser un grand coup de gueule contre la combustion croissante de charbon et de lignite dans le monde. Cette croissance doit cesser! Les publications de l’UNEP qui veulent faire croire que le réchauffement planétaire pourrait être maîtrisé par un meilleur aménagement des espaces verts et des rivages mondiaux est à la limite de l’escroquerie. En fait, d’oublier 87% du problème lui évite de s’affronter aux Nations industrielles récalcitrantes qui sont aussi les employeurs de l’UNEP.

 Le deuxième problème de fond repose sur la répartition des émissions de CO2 anthropiques entre ciel, terre et mer. Jusque là, la fraction se retrouvant dans l’atmosphère ou « airborne fraction » est réputée croître lentement au cours du temps. Il existerait une boucle positive entre la fraction de répartition du CO2 dans l’atmosphère et le réchauffement de la planète. Il est possible d’invoquer de nombreuses raisons (réchauffement des océans absorbant moins de gaz, automnes plus chauds provoquant des émissions de CO2 plus importantes par les forêts, etc.). Mais cette tendance longue qui exacerberait l’effet des émissions de gaz carbonique, ne semble pas s’appliquer depuis 2003, comme cela a été chiffré ici de façon très simple en comparant les accélérations des émissions de dioxyde de carbone et celles d’apparition dans l’atmosphère (LIRE). Or cette inversion, mettant en évidence une boucle de régulation négative, correspond à la forte croissance des émissions de dioxyde de carbone chinoises. N’y a-t-il pas là la preuve d’un effet inverse à celui attendu? La compréhension de ce phénomène me semble essentielle. Plusieurs hypothèses prenant en compte la pression partielle de CO2 et la fonte de la banquise dans une zone de puits de gaz carbonique, qui accroîtraient la vitesse et la surface de dissolution de ce gaz dans l’océan, devraient être étudiées. Les travaux de Takahashi et Col. dans le domaine, qui reposent sur trois millions de mesures de teneurs en CO2 dans les eaux de surface maritimes, réalisés depuis 1970, montrent clairement que cette zone de l’Atlantique Nord, autour du Groenland, est de toute première importance pour assurer la dissolution du gaz carbonique de l’hémisphère nord dans les océans (FIG.II, zone bleue et parme en haut à droite).

FIG.II Vitesses d’apparition et de disparition du CO2 dans les océans d’après Takahashi et Col.

Les zones parme correspondent aux puits de dioxyde de carbone qui peuvent absorber jusqu’à 400 tonnes de CO2 par km2 et par an. Des variations moyenne de la surface de la banquise de l’ordre du million de km2 peuvent donc expliquer un accroissement de l’absorption de 400 millions de tonnes de gaz annuellement. La surface de la banquise au mois de Septembre, représentait dans les 7 millions de km2 en 1990. Elle est descendue à moins de 5 millions de km2 en 2007. Cette différence peut expliquer une plus forte décroissance de la concentration en CO2 durant la saison d’été dans l’hémisphère nord.

Takahashi-CO2-sinks-2009 

 La réunion plénière de l’IPCC de la semaine prochaine sera d’une grande importance en raison de sa proximité avec la réunion sur le climat de Copenhague du mois de Décembre. Il y a là une occasion de passer quelques messages sobres mais bien sentis, à la Communauté Internationale, avec cependant une condition nécessaire: bien les hiérarchiser.
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Le 19 Octobre 2009

Commentaires

11 réponses à “Les grandes questions que vont devoir aborder les délégués du GIEC à Bali”

  1. Avatar de irisyak

    Il faut aussi parler de la surpopulation mondiale; c’est aussi un très grand « non-dit ».
    Pour la réduire il faudrait lancer de toute urgence un plan qui donnerait aux femmes une instruction au moins égale à celle des hommes.
    Je parlerais aussi de l’albedo dont on ne parle pas alors que les surfaces de routes, maisons .. ne font qu’augmenter avec le réchauffement associé.

  2. Avatar de ray
    ray

    Mon cher Irisyak, on pourrait y parler de pêches, de chasses et de traditions. Mais justement je pense qu’aux réunions du GIEC on parle trop, peut être à tort ou même à travers.
    Quand à la croissance de la population mondiale il faut que vous sachiez Irisyak que sur les 2,2 milliards d’humains de plus attendus d’ici à 2050, il y en aura un milliard de plus en Afrique et un milliard de plus en Asie (autre que la Chine). Malheureusement pour eux, ces 2 milliards là n’émettront pas beaucoup de CO2.

  3. Avatar de Berenger
    Berenger

    La croissance de la population des pays pauvres est un moyen simple, pour nous occidentaux, de reporter les problèmes du changement climatique et ses conséquences sur d’autre personnes.
    Les 200 millions de personnes en plus qui ne seront ni en Asie ni en Afrique, pollueront plus que les 2 milliards de ces deux continents.
    C’est avant tout à nous de changer, et nous avons encore du mal à l’accepter.
    A lire : http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2827

  4. Avatar de ray
    ray

    Berenger, je n’ai pas bien compris ce que voulait démontrer votre article en référence. Il y a des Nations riches qui surconsomment. Oui, j’espère que ce n’est un scoop pour personne. Il y a des pays en voie de développement avec une nombreuse population qui se mettent à leur tour à consommer et puis il y a ceux qui n’ont rien. Porter un jugement moral sur cette situation, sans préconiser d’action particulière qui pourrait porter remède me semble assez stérile. Mais n’ai-je peut-être pas compris le message subliminal? C’est peut-être la révolution prolétarienne en marche qui résoudra tout ça.

  5. Avatar de Dr. Goulu

    La distinction pays riches / pays pauvre n’existe plus (http://drgoulu.com/2009/09/19/laissez-ses-donnees-changer-votre-etat-desprit/ ) Le monde est (presque) plat. Le dégagement de CO2 est décrit par l’équation de Kaya dans laquelle quatre facteurs se multiplient :
    * CO2/TEP : le « facteur d’émission » de la production d’énergie
    * TEP/PIB : l’efficacité énergétique de l’économie
    * PIB/POP : la « richesse »
    * la POPulation
    La situation de chaque pays est différente, donc les actions efficaces aussi. La population est trop souvent un sujet tabou y compris dans nos pays industrialisés (« mais qui va payer nos retraites? »), mais le fait est que si nous retrouvions en 2050 la population des années 1950 (un seul enfant par femme comme les Chinois…), le problème CO2 serait quasi résolu.
    (http://drgoulu.com/2009/06/06/developpement-durable-et-equation-de-kaya/)

  6. Avatar de Harold
    Harold

    Les mécanismes de rétroactions négatives à l’œuvre, question absorption de CO2, que vous souligner, remettent pas mal de mes idées en cause. Dans « Point de rupture » de Fred Pearce, journaliste à Science, il était fortement question d’un basculement imminent dans un monde où les océans cesseraient d’absorber le CO2 pour…en émettre, et ou bien d’autres mécanismes de rétroactions positives gigantesques (fortement émetteurs de CO2)étaient sur le point de se mettre en marche (méthanes du permafrost etc.). Ce manque – à ce qu’il semble – de certitudes scientifiques sur des fondamentaux tout à fait essentiels n’est vraiment pas une bonne nouvelle et pourrait nourrir un certain scepticisme. Rageant

  7. Avatar de ray
    ray

    Harold, je pense que dans bien des annonces ce qui manque c’est la dimension temporelle. Vous savez bien que pour faire vendre et être connu il faut annoncer des catastrophes. Alors bien des scientifiques sont à la recherche de possibles phénomènes qui pourraient devenir irréversibles et cataclysmiques. C’est pour eux une bonne façon de se faire connaître. Le peak-oil, le réchauffement du permafrost et la libération de milliards de tonnes de CH4 et de CO2, le réchauffement des océans et la décomposition des hydrates de méthane, etc. sont des exemples de quelques « tipping points » pour lesquels la date possible de l’évènement annoncé est volontairement omise ou pire subliminalement suggérée comme imminente.
    Mais ce n’est pas une raison pour analyser le plus scientifiquement possible ce qui se passe aujourd’hui. Par exemple, la régression des surfaces de la banquise arctique réduit certes l’albédo mais elle permet à plus de CO2 de se dissoudre, poussé par une pression partielle atmosphérique croissante. Ce phénomène permet d’ailleurs à Gattuso du CNRS de prédire que dans quelques décennies il n’y aura plus de coquillages dans l’Océan Arctique devenu trop acide. Sa prédiction dramatique a fait bien sûr le tour de tous le blogs du monde. S’il avait annoncé que le CO2 allait se dissoudre plus vite et que cela allait amortir la croissance du CO2 dans l’atmosphère, il serait resté largement méconnu du grand public.

  8. Avatar de ray
    ray

    Merci Docteur, il me semble que de parler de l’efficacité énergétique de nos actes au quotidien et de la teneur en Carbone de l’énergie que nous consommons pose déjà suffisamment de questions. Quand à la démographie elle intervient certes quantitativement mais aussi qualitativement avec le vieillissement des populations et leur urbanisation paramètres qui agissent sur leur consommation énergétique. Sans parler des phénomènes de modes et d’imitation qui caractérisent les groupes humains.
    Avez-vous un 4X4 Docteur?

  9. Avatar de pierre
    pierre

    citation : « la régression des surfaces de la banquise arctique réduit certes l’albédo mais elle permet »
    Vous avez un lien fiable sur la réduction de la banquise ? Je ne trouve que des débats pas de certitudes.
    A quelle échelle de temps parlez vous ?
    Merci pour votre article.

  10. Avatar de Berenger
    Berenger

    Ray, je ne réagissais pas à votre commentaire mais à celui d’Irisyak.
    J’argumentais dans votre sens.
    La croissance de la population chinoise a fortement réduit, celle de l’Inde est toujours galopante, tout comme en Afrique.
    Or ces nouvelles personnes arrivant au monde seront parmi les plus pauvres, elles ne consommeront donc rien ou quasiment rien.
    Au contraire l’augmentation de population dans les pays riches (naissances+immigration)sera beaucoup plus faible, mais leurs émissions de CO2 sera très élevé.
    C’est pour ça que je ne pense pas, contrairement à Irisyak, que l’augmentation de la population mondiale soit un des grands « non-dits » au sujet de l’environnement. Il y a des sujets bien plus préoccupants pour réduire les émissions de CO2.

  11. Avatar de ray
    ray

    Pierre, voici un lien qui vous donnera quotidiennement l’emprise (extent) et la surface de la banquise.
    http://arctic-roos.org/observations/satellite-data/sea-ice/ice-area-and-extent-in-arctic
    Vous pouvez aussi lire l’excellent article de Johanessen qui montre la corrélation entre teneur en CO2 dans l’atmosphère et emprise de la banquise:
    http://arctic-roos.org/publications

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