Un Groupe industriel peut-il durablement maintenir une politique de R&D efficace dans un pays où il ne produit pas?

Le débat actuel portant sur la politique industrielle du Groupe Renault présente un intérêt majeur: il offre la possibilité d’une réflexion nationale sur ce que doit être la politique industrielle de notre pays. De nombreux économistes soutiennent qu’une délocalisation des productions dans les Zones à monnaies et salaires faibles ne serait que profitable pour Renault et que ce ne serait pas un handicap majeur pour notre pays, dans la mesure où le Groupe maintiendrait sa R&D en France. Ce ne sont pas les « productions en France » qui sont importantes, ce sont les « Groupes Industriels français ». Cette affirmation venant d’économistes de grand renom que l’on peut écouter sur BFM par exemple, semble frappée de bon sens. Les tâches ingrates de production dehors, les tâches nobles de R&D chez nous!

Mais dans ce beau schéma il y a un hic majeur qui est le suivant: Renault n’est pas une entreprise de logiciels ou de téléphonie dont on peut définir les algorithmes à la Google et sous-traiter la production du hard en Asie. Un constructeur de voitures et sa nébuleuse de sous-traitants sont des industries de transformation de la matière. Certes les logiciels jouent un rôle de plus en plus important dans la conception d’un véhicule, mais une très large part est encore consacrée à la transformation d’une ou plusieurs sources d’énergie en mouvement mécanique maîtrisé. L’industrie sans usine (factoryless) à la Tchuruk a montré ses limites, il suffit de regarder le cours de l’action Alcatel qui devient de plus en plus topless.

Une équipe de R&D n’est efficace dans une industrie de transformation que si elle confronte ses travaux et ses réalisations au Juge de Paix qu’est l’Usine de Production. La définition des nouveaux produits et des nouveaux process industriels sont intimement liés. Ils voient leur aboutissement, réussi ou loupé, en Usine sur les lignes. Seule l’expérience cumulée des équipes de process et de produits est porteuse de progrès. Les retours d’expérience des ateliers sont irremplaçables pour corriger ou amender. Peut-on imaginer un Toyota qui a mis plus de dix ans à maîtriser la technologie hybride sans usine au Japon? Renault affirme dans un communiqué qui fait le point sur sa situation industrielle en France, qu’il y produit 25% de ses véhicules et qu’il y consacre 86% de ses dépenses d’ingénierie. De tels ratios sont excellents, un quart des véhicules produits, les plus sophistiqués, les plus innovants semble être une fraction nécessaire et suffisante pour que la base historique du Groupe joue à fond son rôle de pôle européen de progrès. Il ne faut pas oublier que pour l’instant une grande part de l’innovation du Groupe provient de son alter-ego Nissan au Japon.

Cet exemple montre que la politique industrielle est une chose trop complexe pour être confiée aux politiques, mais qu’un engagement ferme de Renault sur sa volonté de transférer les technologies japonaises de véhicules électriques et de productions de batteries en France est une grande chance pour notre pays. Le Groupe se doit de posséder des Unités de Productions en France mais il doit aussi pouvoir faire progresser librement ses technologies sans être entravé par la démagogie de quelques politiques, fussent-ils au plus haut de la hiérarchie de l’Etat.

Production-industrielle-2009-11 

 Le communiqué de Renault rappelle que sur les 1400 euros de handicap par voiture produite en France par rapport à celle produite en Europe de l’Est, 750 euros représentent des charges sociales. Ne serait-il pas venu le temps de repenser l’assiette de ces charges? C’est politiquement plus ardu à résoudre. La performance industrielle de la France est, il est vrai tellement florissante, qu’on ne comprendrait pas pourquoi nos dirigeants se décarcasseraient pour des broutilles, de plus, électoralement risquées (FIG.) 

LIRE la situation industrielle de Renault en France sur un site accessible aux pékins de mon genre, l’accession au site media-renault.com étant réservée à l’élite.

Le 14 janvier 2010

Commentaires

3 réponses à “Un Groupe industriel peut-il durablement maintenir une politique de R&D efficace dans un pays où il ne produit pas?”

  1. Avatar de Nicolas

    Analyse très intéressante.
    J’avoue par contre avoir décroché à un moment et même après relecture ne pas voir l’enchaînement logique : pourriez-vous rappelé le contexte auquel vous faîtes référence lorsque vous écrivez qu’ »il doit aussi pouvoir faire progresser librement ses technologies sans être entravé par la démagogie de quelques politiques » ?
    Merci !

  2. Avatar de ray
    ray

    Carlos Ghosn et convoqué Vendredi chez notre Président. Ils vont parler industrie.

  3. Avatar de el gringo
    el gringo

    La dumping fiscales et sociales existe depuis très longtemps dans l’industrie automobile.
    Il faut se souvenir de Vilvoorde où le gouvernement belge refusa de céder devant les menaces de Renault qui ferma l’usine pour ouvrir une usine à Moscou. Depuis la leçon a été bien apprise par les états qui accordent désormais des largesses fiscales et sociales aux grandes entreprises qui peuvent délocalisé leur production mais les autres sont priés de payer plein pot.
    La France fut d’autant plus compréhensive qu’elle avait ouvert la boite à Pandore avec Toyota et Smart en accordant certains largesses qui durent ensuite être appliquée aux autres constructeurs nationaux au nom de l’égalité de la concurrence.
    Aujourd’hui, nombre de grandes entreprises négocient avec l’Etat et les organismes sociaux le montant de leur cotisations obtenant jusqu’à 30% de remise sur le montant des cotisations sociales.
    Ajoutons en plus le chomage technique qui est passé à 1000 heures par an (soit 7 mois) plus un mois de congé payé ce qui fait que les entreprises peuvent limiter l’utilisation de leurs salariés à 4 mois par an en fonction des besoins. Le reste étant à la charge de l’état.
    De même avec le fisc, le taux moyen d’imposition des grandes entreprises est de 8% en moyenne en France contre 33% offiellement.
    http://www.alternatives-economiques.fr/fiscalite-des-entreprises—les-plus-gros-paient-moins_fr_art_898_47092.html
    Il faut aussi rappeler qu’après la fusion avec Nissan, Renault-Nissan est devenue une entreprise néerlandaise payant ses impots dans une zone franche aux Pays-Bas avec un taux de 8% pour le plus grand bonheur des actionnaires et de l’état néerlandais alors qu’aucune usine Renault n’existe dans ce pays.
    Voir aussi le chiffre d’affaire de Renault SA qui est devenu une coquille vide en France.
    http://www.societe.com/bilan/renault/441639465200812311441639465200712311.html
    Il faut aussi ajouter que le coût de la publicité est plus important que le coût de construction d’une automobile mais il est plus difficilement compressible. Les concessionnaires sont néanmoins plus compréhensifs avec la crise et limite leur marge mais reste bien tenus en laisse par les constructeurs. Néanmoins, on peut facilement trouver des automobiles avec 25 à 30% de réduction sur le prix de vente officiel.

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