Un exemple de gains de productivité agricole : le maïs américain

 Certains s’indignent de l’augmentation des prix agricoles qui frappe les plus humbles et suscite des révoltes populaires. Les régimes pas tout à fait démocratiques tunisiens ou algériens qui n’ont pas encore connu de fraîches et revigorantes révolutions populaires à la cambodgienne ou à l’iranienne, tant admirées par nos philosophes d’alors, doivent faire face à l’accroissement des prix des denrées de base comme le sucre, l’huile, le blé ou le maïs. Plutôt qu’une indignation incompétente, mieux vaudrait promouvoir les actions de maîtrise des marchés qui étoufferaient dans l’œuf les mouvements spéculatifs alimentés par l’appât du gain de quelques riches possédants individuels ou collectifs. Faire payer les retraites américaines par le bon peuple des pays les plus pauvres n’est pas une solution à long terme politiquement acceptable.

 Pour donner un peu d’espoir et apporter quelques données objectives au problème des prix des produits agricoles il est intéressant de se pencher sur l’exemple de la production de maïs aux États-Unis, pays grand producteur et consommateur mondial de cette céréale. Les paysans américains ont semé du maïs en 2010 sur une surface totale de 35,7 millions d’hectares (près des deux tiers du territoire français) et 92% de ces plantations (32,9 millions d’hectares) ont fait l’objet de récoltes d’épis de maïs, une partie mineure étant destinée à l’alimentation animale. Cette récolte, après une année 2009 record, apparaît comme acceptable puisque, selon National Agricultural Statistics Service américain, ce sont 12,5 milliards de boisseaux de maïs (ou 318,5 millions de tonnes sur la base de la conversion normalisée de 56 livres ou 25,4 kg par boisseau de maïs) qui auront été récoltés en 2010, à comparer à celles de 2009 qui avaient atteint un record de 13,1 milliards de boisseaux.

Mais-USA-1960-2010

Ces productions ont été multipliées par plus de trois en cinquante ans (FIG.I, courbe bleue) en raison essentiellement de l’accroissement des rendements qui ont été multipliés par plus de deux durant la même période (courbe rouge). De 150 boisseaux à l’hectare au début des années 60, ils ont atteint le record de 407 boisseaux/ha (10,3 t/ha) en 2009 et les 381 boisseaux/ha (9,7 t/ha) en 2010.

Remarque: dans l’Iowa, l’État américain le plus favorisé climatiquement pour cette culture, les rendements ont atteint les 462 boisseaux/hectare en 2009. Les professionnels pensent qu’un objectif de 750 boisseaux/hectare est atteignable vers les 2030.

Les surfaces plantées ont plus modestement progressé en passant des 27 millions d’hectares au début des années soixante à 31 millions d’hectares dans les années 80 et 90, pour dépasser les 35 millions en 2010 (FIG.II, courbe bleue). En parallèle le taux de culture conduisant à une récolte d’épis a progressé durant la période, passant de 85% dans les années soixante à 92% de nos jours (courbe noire).

Mais-USA-1960-2010b

Ce sont donc l’amélioration des pratiques agricoles et l’adoption de meilleures semences qui ont permis de faire croître et de régulariser les volumes annuels de maïs produits durant ces cinquante dernières années. Les surfaces plantées n’ont qu’à la marge participé à cette croissance.

La production d’éthanol américain à partir de maïs a du atteindre en moyenne en 2010 les 0,85 million de barils/jour soit 310 millions de barils pour l’année entière ou 13 milliards de gallons. Sur la base de conversion de 2,8 gallons d’alcool par boisseau° cette production représente une consommation de maïs de 4,6 milliards de boisseaux de maïs. Une projection sur 2011 qui va consommer le maïs produit en 2010, avec une hypothèse de 10% de production supplémentaire d’éthanol, conduit à une consommation de maïs autour des 5 milliards de boisseaux soit 40% de la récole 2010. Il restera donc pour l’alimentation humaine et animale locale et pour l’exportation 7,5 milliards de boisseaux, niveau des bonnes années 80. Il faut rajouter à ce bilan les tourteaux provenant de la production d’éthanol qui n’utilise que l’amidon du maïs, c’est une donnée fondamentale.

°Remarque: pour sa dernière usine de Cloverdale en cours de rénovation Poet annonce qu’il produira annuellement 90 millions de gallons d’éthanol avec 31 millions de boisseaux de maïs. Ceci représente donc 2,9 gallons par boisseau ou 432 litres d’alcool pur par tonne standard de maïs.

  La croissance prévisible de la production d’éthanol et la décroissance constatée des productions de maïs en 2010, par rapport à celles de 2009, crée donc des tensions anticipées pour 2011, ce que prennent en compte et amplifient les marchés.

Alors que faut-il faire pour que la production d’éthanol américaine reste soutenable, c’est à dire compatible avec les besoins alimentaires mondiaux?

1- Il faut produire de l’éthanol avec les fractions cellulosiques du maïs (rafles et une partie des feuilles et des tiges). Ce projet est en cours de développement chez Poet, le plus grand producteur américain d’éthanol. Ce sont 20 à 30% de productions supplémentaires qui pourraient provenir de cette boucle cellulosique dans chacune de ses usines, à production constante de maïs. Il ne faut guère compter à court et moyen terme sur les autres filières purement cellulosiques qui n’ont pas franchi le seuil de rentabilité en raison de la complexité des procédés, du faible degré des bières obtenues et des limitations en taille des unités par l’approvisionnement en matières premières encombrantes.

2- Il faut poursuivre la sélection génétique de maïs hybrides qui vont permettre d’accroître et de régulariser les rendements à l’hectare, comme cela se fait depuis au moins cinquante ans. Les grands producteurs de semences que sont Pioneer (groupe Dupont de Nemours),  Monsanto allié à BASF (alliance diabolique!) et Syngenta (réunion en 2000 des branches agro d’Astra Zeneca et de Novartis). Chacune de ces grandes entreprises sont en train de développer des hybrides qui résisteront mieux aux stress hydriques imposés lors des périodes de sècheresse. En l’absence de sècheresse les productions seraient les mêmes qu’avec les plans actuels, en cas de stress hydrique les rendements seraient accrus de 5 à 15%. Or le manque d’eau est un vrai problème aux États-Unis dès qu’on s’éloigne du cœur de la Corn Belt (FIG.III, zone verte) vers l’ouest ou vers le sud. C’est aussi un problème en dehors des USA.

FIG.III Probabilité de stress hydrique des cultures de maïs aux Etats-Unis:

Drought-stress-map

 Chacun y va de son nouvel hybride Agrisure Artesian pour Syngenta qui est proposé en 2011, Optimum AQUAmax pour Pioneer annoncé pour 2012, plusieurs générations annoncées par Monsanto (LIRE). Ces nouvelles semences devraient permettre également d’augmenter les surfaces cultivées de maïs dans le monde.

 Pour comprendre l’aventure mondiale des biocarburants qui représentent en volume aujourd’hui un peu plus de 2% des produits pétroliers consommés (1,8 millions de barils/jour), qui en remplaceront 5% d’ici à 10 ans en raison des développements dans les grandes régions favorisées par la nature (USA pour le maïs, Brésil, Inde, Sud de la Chine et Afrique pour la cane à sucre, Malaisie et Indonésie pour les huiles de palme), il faut intégrer les progrès et les avancées technologiques des cultures et des procédés de transformation. D’autre productions marginales comme la synthèse onéreuse du kérosène à partir de cellulose (Solena), d’huiles (Neste Oil, Tyson) ou de solutions sucrées (Amyris) viendront s’ajouter à ces productions.

 Dans deux décennies le monde rural produira des volumes d’ersatz de pétrole qui dépasseront les extractions saoudiennes d’aujourd’hui. S’opposer à cette inéluctable évolution des cultures, revenu important du monde paysan, serait stupide. La rendre, par le progrès technologique, compatible avec l’évolution des besoins alimentaires mondiaux est la voie exigeante à suivre.

Le 9 Janvier 2011

 

Commentaires

Une réponse à “Un exemple de gains de productivité agricole : le maïs américain”

  1. Avatar de Ray
    Ray

    Une toute récente étude topographique et climatique des terres peu ou pas exploitées dans le monde et qui seraient éventuellement disponibles pour cultiver de la biomasse, montre que leur surface se situe entre 3 et 7 millions de km2. Le tiers de ces surfaces sont localisées en Afrique, la moitié en Afrique et au Brésil. Ce genre d’étude n’a que peu de valeur pratique puisqu’elle n’entre pas dans la faisabilité économique des projets. Elle confirme seulement que ce ne sont pas les terres qui manquent mais les moyens technologiques rentables adaptés, les financements et la volonté d’agir des acteurs locaux.
    http://pubs.acs.org/doi/full/10.1021/es103338e

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