Relation entre progression des biocarburants et productions mondiales de céréales

Une des convictions largement partagées par nos contemporains veut que la production de biocarburants à partir de l’amidon de certaines céréales (maïs américain essentiellement) vient s’imputer sur une production mondiale aléatoire de céréales destinées initialement à l’alimentation humaine ou animale et marginalement à des applications industrielles. Il suffit pour partager cette conviction de se reporter à l’infographie publiée par le New York Times (FIG.) intitulée sans équivoque  « Diverting Food to Fuel » ou Détournement de la nourriture en carburant.

Grains-pour-biocarburants

« Plus que jamais, dit le texte, les céréales n’ont été utilisées pour produire des biocarburants plutôt que de fournir de la nourriture. Cette tendance a démarré en 2004 pour atteindre en 2010 une proportion de 6% de céréales utilisées pour les biocarburants. Ce détournement est un facteur contribuant à la montée des prix alimentaires ». C’est clair, c’est sans bavure, en une décennie 120 millions de tonnes de céréales sur 370 millions ont produit des biocarburants…à part que cette présentation est trompeuse et que les ratios doivent être précisés. En effet durant la campagne 2009/2010 c’est un total mondial produit de 2200 millions de tonnes qui ont été produites comme l’indique l’échelle en rouge que j’ai rajoutée à la droite du graphique initial.

Il est alors possible de réaliser une lecture totalement différente de ce graphe que je vous propose et qui, vous allez le voir, est beaucoup plus complexe mais moins écologiquement correcte. On peut en effet constater qu’entre 2000 et 2010 la production mondiale de céréales s’est accrue de 370 millions de tonnes pour atteindre 2200 millions de tonnes en 2010. Ceci correspond à une croissance de 20% en une décennie soit une progression annuelle moyenne de 1,86%. Cette croissance selon la FAO (LIRE un papier précédent sur ce thème) est due à la fois à la croissance des rendements (+13%) et des surfaces cultivées (6%). Cette croissance des productions de céréales, très vive à partir de 2003/2004, correspond à la montée en puissance de l’utilisation du maïs américain pour produire des biocarburants. L’existence d’un nouveau débouché industriel sûr et en croissance pour le maïs américain a incité les paysans locaux à étendre leurs cultures, à améliorer leurs procédés et à accentuer leur sélection des hybrides les mieux adaptés aux conditions locales (LIRE le papier sur la culture du maïs aux États-Unis). Ils ont ainsi participé à une croissance des productions de céréales dans le monde jamais égalée sur une décennie.

Maïs-monde

Pour étayer cette vision des faits, il suffit d’examiner les croissances de rendements et de surfaces récoltées de maïs dans le monde durant ces vingt dernières années publiées par la FAO (FIGII). Il apparait que les rendements de ces cultures croissent régulièrement (+39% en 19 ans soit une moyenne annuelle de 1,7%) et que les surfaces récoltées ont fortement augmenté entre 2002 et 2009 passant de 1,37 millions de km2 à 1,60 millions de km2, impact évident du développement de l’utilisation du bioéthanol comme additif dans les carburants. Ce sont 225 mille tonnes de maïs de plus qui ont été produites annuellement entre 2000 et 2009 dont la moitié a alimenté les distilleries d’alcool.

Il est à noter que 120 millions de tonnes rapportées à 2200 cela fait 5,5% des récoltes de céréales, mais aussi que de ces 5,5% près d’un tiers de la charge sont retrouvés sous forme de DDGS (Dryed Distiller Grains) qui correspondent à la part de protéine de la graine qui n’est pas utilisée pour produire du sucre puis de l’alcool. Ces DDGS sont devenus en quelques années une source importante d’alimentation protéinée du bétail, porcins et autres gallinacées. Ils sont sur le point d’égaler même à l’export US les tourteaux de soja (Voir les courbes comparées sur DTN). Il en résulte que la vraie part de céréales en 2010 qui a participé à la production de bioéthanol correspond à 70% de ces 5,5% soit quelque chose autour des 4% et non pas 6% comme affirmé dans le placard militant du N Y Times. Ces 4% correspondent à un peu plus de deux ans de croissance des productions de céréales dans le monde.

En conclusion les besoins futurs en céréales dans le monde devront intégrer la production croissante de biocarburants substituts économiques et devenus indispensables des dérivés du pétrole. Une croissance globale prévisible de la demande en céréales en progression de 20% d’ici à 2020 sera satisfaite par l’accroissement continu des rendements et l’augmentation des surfaces cultivées comme cela a été montré dans un des papiers précédents et réalisé au cours de la décennie 2000-2010. Les céréales serviront à nourrir les hommes, les animaux domestiques ou d’élevage, à produire des biocarburants pour les transports et du biogaz dans certains pays comme l’Allemagne. Dure tâche, mais exaltante et rémunératrice pour les paysans du monde qui seront, espérons-le, de plus en plus africains, indonésiens ou américains du sud et seront aussi satisfaits d’eux qu’un riche paysan du Middle-West ayant rentré et vendu à terme sa récolte de maïs. Le développement d’une large partie de l’Afrique et de l’Amérique intertropicales passera par le développement de l’agriculture. C’est le bon côté humain du Land Use Change qui fait tant frémir les écolos de l’EPA. Accroitre les cultures dans les pays en développement serait-il soudainement devenu un acte criminel? Lisez bien tous les articles dénonçant le développement des terres africaines, indonésiennes ou américaines. Vous-y décèlerez souvent la thèse à la mode qui veut qu’elles devraient rester en friches au nom d’une vision romantique de la Nature cautionnée par d’incertaines émissions de CO2. Allez, il reste encore au moins trois bons millions de km2 dans le monde disponibles pour produire céréales et autres oléagineux qui apporteront nourriture et énergie au monde.

Surfaces-récoltes-monde-FAO

La totalité des surfaces récoltées dans le monde, tous produits alimentaires confondus au sens de la FAO, a connu à partir de 2003 une subite accélération imputable à l’arrivée de grands pays en développement dans la course à la consommation mondiale (FIG.III). Ces surfaces se sont accrues d’un million de km2 en quelques années. Bien entendu, un tel processus qui continue à se dérouler ne peut s’accomplir qu’avec des tensions dans les flux et des excès dans les cours des produits agricoles. Attribuer ces phénomènes en priorité aux biocarburants, même s’ils y participent, me semble bien léger comme thèse.

Indice-prix-denrées-alimentaires Remarque: les spécialistes annoncent en ce début Avril une probable baisse des cours du maïs après ceux du sucre des huiles et du blé (FIG.IV). En effet l’USDA vient d’annoncer une stabilisation inattendue des stocks de maïs américains pour 2011 en raison de la compensation de la hausse des consommations prévue pour les biocarburants par une baisse estimée des consommations pour l’alimentation des animaux. Les éleveurs américains vont utiliser de moins en moins le maïs devenu trop cher et vont le remplacer par du blé plus abondant cette année.

Le 9 Avril 2011

Commentaires

2 réponses à “Relation entre progression des biocarburants et productions mondiales de céréales”

  1. Avatar de Alain G.
    Alain G.

    Bonjour,
    Pourquoi, comme tout le monde, parlez-vous de « bio »carburants alors que ces carburants n’ont rien de bio?
    Salutations.

  2. Avatar de Ray
    Ray

    Mon cher G, je parle de « biocarburants » parce que nos académiciens ont trouvé sioux de traduire « biofuel » par « biocarburant ». Mais me direz-vous pourquoi ont-ils traduit « sustainable » par « durable »? C’est insoutenable, même pour un souteneur de l’écologie! En effet il faudrait traduire « unsustainable » par un horrible « indurable ». C’est durillon.

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