Réflexions sur un avenir énergétique incertain et complexe

 Il est une évidence: si l’espèce humaine n’a pas entre-temps disparu, les énergies fossiles seront un jour épuisées. Mais il en est également une autre qui nuance l’affirmation précédente: nul ne sait, pour chacune d’entre ces sources d’énergies, jusqu’à quelle date et à quel rythme se déroulera cette fin annoncée. En effet entre abondance et épuisement quasi-total, le monde passera durant les décennies et les siècles prochains par diverses phases de pénurie et de tensions plus ou moins vives qui agiront sur les prix et pèseront sur la demande. Elles induiront des progrès dans l’efficacité énergétique des processus, des phénomènes de substitution compétitive entre les diverses formes d’énergie, elles pousseront les industriels à une meilleure exploitation des ressources existantes identifiées, les inciteront à accroître leurs efforts de prospection dans des zones hostiles (Arctique) ou interdites à ce jour (grande part de l’offshore américain) et de mise en valeur de ressources « non conventionnelles » par des technologies innovantes. L’utilisation intensive de la biomasse devenue largement rentable soulagera avec ses ersatz (bioéthanol, biodiésel, biogaz, bio-oil, pellets et autres) la demande finale en énergies fossile.

Peak-oil  La généralisation au monde du concept régional de «Peak-oil», par ailleurs formidable outil de Marketing, est une représentation naïvement simplifiée et figée d’une réalité beaucoup plus complexe et évolutive qui ne cessera de s’adapter grâce aux progrès technologiques, à des conditions d’un marché de l’énergie en constante évolution. Depuis que le concept de peak-oil a été avancé le bioéthanol et le biodiesel ont prouvé leur complémentarité avec les carburants classiques dont les prix ont quintuplé en dollars courants, des ressources d’huiles non conventionnelles au Venezuela puis dans l’Alberta on été mises en valeur, de nouvelles ressources de pétrole offshore ont été découvertes dans le Golfe du Mexique, en Afrique puis au Brésil à des profondeurs inattendues, les techniques de forage horizontal avec ou sans fracking, parfois couplées à l’injection de CO2 (EOR) a fait faire un pas décisif dans le taux d’extraction de ressources classiques (Californie) et non conventionnelles (gaz et huiles de schistes), les véhicules hybrides et électriques sont produits industriellement, la conversion du gaz naturel en produits pétroliers (GTL du Qatar) est devenue une activité hautement lucrative. La liste n’est pas exhaustive et pendant cette lecture les innovations et les adaptations se poursuivent.

 La notion de «transition énergétique» manipulée par la vision écologique actuellement en vogue, laisse accroire que le monde va passer en quelques décennies d’un temps diabolique de mauvaises pratiques polluantes à une ère de pureté écologique faite d’eaux courantes, de vents bienveillants et de soleil. Cette nouvelle forme de croyance réinvente le Ciel et l’Enfer, elle dit ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, elle prédit des apocalypses climatiques qui viendront punir les impies qui ont abimé la Nature, elle utilise toutes les formes de propagande et d’intimidations, rappelant parfois de temps plus obscurs, pour imposer son idéologie romantique, vision schématique et dangereuse du monde.

 Dans la réalité cette soi-disant transition miraculeuse n’aura pas lieu. Le monde va vivre sous la contrainte économique et politique de longues phases successives d’adaptation de l’efficacité énergétique des processus et de son mix énergétique, avec des solutions différentes selon la démographie, la géographie et le climat des régions examinées. Ce futur mix évoluant au cours du temps, nul ne sait le prédire en détail mais il va être composé d’un cocktail de lignite, de charbon, de gaz conventionnels ou non (jusqu’aux hydrates de méthane), de pétrole conventionnel ou non, de nucléaire de diverses génération à base de fission ou de fusion, de biomasse, d’hydraulique, d’éolien de plus en plus offshore, de solaire photovoltaïque ou thermique et autres formes d’énergie extirpées des entrailles de la Terre, des vagues et des courants marins.

 La proportion au sein du mix de chacune des formes dépendra de l’accès aux ressources locales, des prix de marché, des applications évolutives à satisfaire et marginalement des choix politiques (interdictions, règlements, quotas, subventions, taxes, tarifs préférentiels, etc.) qui favoriseront telle ressource et défavoriseront telle autre. Pour d’évidentes raisons, les choix dans la composition du cocktail de la Norvège, de l’Arabie Saoudite ou de la Chine ne seront pas identiques.

Ces évolutions du bouquet énergétique de chacune des nations se dérouleront selon des processus qui ne pourront guère s’éloigner d’un optimum économique local. Il est une chose de vouloir alimenter un réseau électrique avec 90% d’énergies intermittentes, il en est une autre que de le financer (subventions, tarifs préférentiels, etc.) accompagné d’une multitude de dispositifs redondants (stockages onéreux, gestion aléatoire des puissances appelées au travers de Smart-Grids, ressources traditionnelles sous-utilisées en secours pour éviter les délestages intempestifs, etc.) destinés à pallier l’instabilité intrinsèque d’un tel réseau. En raison de ces contraintes économiques il faudra toujours assurer un minimum de puissance de base à ces réseaux électriques. Cette base fait appel aujourd’hui au charbon, au gaz naturel, au nucléaire, à l’hydraulique au fil de l’eau et marginalement à la géothermie. Elle s’enrichira peut-être un jour de fission nucléaire ou beaucoup plus tard encore de possibles exploitations de l’énergie solaire en orbite géostationnaire… là où il fait toujours soleil.

 Un autre exemple schématique est donné par les hypothèses d’utilisation de l’hydrogène «propre» (non issu du gaz ou du charbon) qui apparaissent aux yeux de certains comme la solution pour demain. Un certain grand Ayatollah moustachu de l’écologie française nous prédit des poids lourds mus par l’hydrogène d’ici à quelques années. Il oublie, s’il l’a un jour appris, que cet hydrogène pour être propre ne pourra provenir que de la dissociation d’un corps composé parmi les plus stables sur notre planète: l’eau. Il faudra donc fournir beaucoup d’énergie pour dissocier l’eau puis pour isoler, laver, comprimer, stocker et transporter le gaz dihydrogène si volatil. Lors de son utilisation, la thermodynamique nous apprend qu’une part de l’énergie récupérée se retrouvera sous forme thermique, difficilement valorisable sur un véhicule. Pour ces raisons physiques et thermodynamiques l’hydrogène s’avère être un très mauvais vecteur énergétique (dans les 30% de rendement s’il est «propre», 40% s’il est produit à partir de gaz naturel) en comparaison avec les lignes électriques couplées à des batteries (autour des 75% de rendement)…pas de bol! Il faut donc prévoir, avant ces hypothétiques camions bouffeurs d’hydrogène, de futurs poids lourds et autres bus hybrides alimentés au gasoil, au gaz naturel ou avec des mélanges essence-éthanol présentant des consommations de l’ordre de 20 litres de gasoil aux cent kilomètres ou équivalent, cela semble beaucoup plus réaliste.

 En contrepartie il est possible d’attribuer un avenir majeur au vecteur électrique dans un monde qui va s’urbaniser et dont la population va vieillir. Aujourd’hui la moitié de la population mondiale (3,5 mrds) est urbaine, en 2045 les spécialistes démographes estiment que les deux-tiers des terriens (6 mrds) seront urbanisés le plus souvent dans de grandes agglomérations. Les transports de masse (métro, train, tramway) seront largement électrifiés, le conditionnement d’air et la maîtrise de l’humidité des appartements fera appel à des pompes à chaleur réversibles, les équipements de communication et de loisirs consommeront cette énergie, les équipements de transport individuels (vélo, scooter, voiture) seront le plus souvent électriques, les infrastructures urbaines (éclairage, balisage, feux, publicité, etc.) feront appel à l’électricité. Il faut donc imaginer un monde futur aux consommations énergétiques quasi constantes puis décroissantes, mais avec une part d’énergie électrique distribuée croissante. Une telle évolution sera favorable à la nécessaire substitution compétitive des sources d’énergies. Citons par exemple l’abandon du pétrole dans l’alimentation des centrales électriques, l’arrivée massive du gaz naturel abondant (gaz de schistes) et donc peu onéreux qui percutera la domination du charbon dans certains grands pays asiatiques (Chine sûrement, Inde peut-être), la valorisation des déchets lignocellulosiques comme combustibles ou transformés en biogaz, l’arrivée de nouvelles centrales nucléaires économes en matières fissiles, plus modulables et plus sûres.

 Dans le domaine des transports, ce qui ne sera pas électrique fera de plus en plus appel à des biocarburants devenus moins onéreux que les dérivés du pétrole. Ceci suppose des investissements massifs dans le développement agricole et le financement d’usines rurales de valorisation de la ressource des pays les plus pauvres (Amérique du Sud, Afrique, Asie). Selon les climats la cane à sucre, le maïs ou le manioc pourront par exemple mener au bioéthanol en utilisant la totalité de la plante (amidon et lignocellulose) dans des conditions économiques raisonnables.

Il n’y aura pas de transition énergétique, mais adaptation continue du mix énergétique intégrant les contraintes économiques et parfois politiques du moment. L’Europe va vivre en temps réel une telle expérience avec l’Allemagne qui veut quitter le nucléaire, ressource énergétique de base précieuse. Il sera utile de voir combien de lignite, de charbon, de gaz supplémentaires vont être mobilisés pour compenser cette disparition à ce jour désirée. L’exemple japonais d’adaptation sera également instructif à suivre.

Le 19 Mai 2011

Commentaires

11 réponses à “Réflexions sur un avenir énergétique incertain et complexe”

  1. Avatar de Tonton
    Tonton

    C’est ce que j’attendais le plus : une synthèse pour situer votre point de vue.
    J’y reviendrai mais je pense qu’on y entend deux choses que les prospectivistes affirment assez peu souvent : une dose d’humilité et avouer qu’on ne sait pas. Une technologie disruptive (français ?) n’allant peut-être pas jamais arriver, tout comme une catastrophe planétaire.
    Dans cette affaire (et ça c’est millénaire) le plus dur est de voir que le futur est incertain. On peut en tirer une leçon : s’adapter au lieu de s’entêter à voir les choses comme fixes à tout jamais. Fin de la leçon de philo.
    Seul manque le climat dans cette synthèse. Une autre source d’incertitude mais dans laquelle les modèles semblent plus étayés que toute autre prospective, à mon sens.

  2. Avatar de Marvin
    Marvin

    Ce que vous oubliez de dire c’est que toutes ces adaptations, biofuels, oil non conventionnel se feront compétitivement à partir d’un coût du baril plancher. Et que donc nous sommes sur une perspective haussière de l’énergie. C’est cette hausse qui effectivement sera le juge du mix énergétique en fonction des divers coûts de production du kWh.
    Selon moi nous irons vers des cycles économiques de plus en plus court où le pétrole va flamber jusqu’à mettre l’économie à terre, le marché de l’énergie va se détendre et l’économie repartir. Par exemple, la crise de 2008 est elle due aux subprimes et/ou aux coûts stratosphériques des commodities atteints l’été précédent??

  3. Avatar de Ray
    Ray

    Aux deux Marvin, aux deux. La spéculation sur la valorisation incessante de l’immobilier américain qui allait enrichir même les pauvres insolvables, celle sur l’imminence du peak-oil en 2008 ont été aussi néfastes l’une que l’autre à l’économie mondiale. N’oubliez pas non plus les biocarburants qui retiraient les tortillas de la bouche des pauvres Mexicains.
    Il faut cependant voir le côté positif de ces crises spéculatives: elles permettent d’insensibiliser un peu plus les économies aux poussées des prix des commodities.
    Oui bien sûr les prix croissants de l’énergie vont sponsoriser tout ce qui vient de la biomasse, mais ceci n’empêche pas à cette industrie agricole de faire des gains de productivité. Par exemple: produire 30% de plus d’alcool, comme le programme Poet, avec les tiges et les feuilles de maïs à récolte constante participe à cet indéniable progrès.

  4. Avatar de Benkebab
    Benkebab

    C’est amusant de lire votre analyse alors que je viens de finir le livre de Jancovici, « Le plein s’il vous plaît ». Vous ne devez pas être top copains vous deux…
    A mon avis, vous faites beaucoup trop confiance aux nouvelles découvertes de réservoirs (conventionnels ou non conventionnels) et technologiques pour répondre à une demande qui explose (dans les BRICs surtout, alors qu’elle va stagner dans les pays OCDE)
    Ensuite votre analyse sur l’évolution future du mix énergétique des pays en fonction de leurs ressources locales, du marché,etc coule de source, mais j’ai l’impression que c’est déjà le cas actuellement. La question que l’on peut se poser est: quelle orientation souhaitons nous donner à notre politique énergétique. Les gaz de schistes partout dans l’UE, d’accord ou pas d’accord, et après? Le réchauffement climatique, la pollution, on s’en soucie ou on continue « as usual »?

  5. Avatar de Ray
    Ray

    C’est vrai, je n’adhère pas toujours aux thèses de ce monsieur tout simplement parce que je ne regarde pas les problèmes énergétiques au travers du prisme déformant du réchauffement climatique. Je n’adhère pas à cette croyance et pense que l’humanité n’a pas le choix si elle veut survivre décemment et dans la paix que de composer au mieux avec les ressources dont elle dispose au gré des inflexions de sa créativité et du progrès technologique.
    Mes propos effectivement coulent de source et je vous en remercie.
    Un exemple d’évidence: remplacer les centrales au lignite allemandes par des centrales au gaz à cycle combiné Siemens permettrait de réduire les émissions de CO2 par plus de deux. Je ne vois pas qui peut être contre ce choix qui devrait être évident…mais politiquement inacceptable par les dirigeants allemands qui n’ont pas intégré qu’il n’y avait pas que le seul gaz russe sur terre. Alors ils agitent le chiffon rouge antinucléaire pour attirer la grenouille écolo…et brûlent leur cher lignite local et vont encore plus émettre de GHG. Bravo l’artiste.

  6. Avatar de an391

    « La généralisation au monde du concept régional de «Peak-oil», par ailleurs formidable outil de Marketing, »
    Lol, Raymond évolue, il a toujours son petit ton dédaigneux envers le « concept » de peak oil, mais il se permet maintenant d’y associer une image assez claire ! 🙂
    Formidable outil de Marketing ? Ah bon ? Pour qui ? On peut en savoir plus ?
    Si il y a des outils de marketing, c’est beaucoup plus autour de tout le green washing lié au CO2 (qui est aussi un vrai problême), mais le peak oil ?
    Ah oui sans doute Raymond fait référence aux gens qui ose en parler, genre Cochet ou Jancovici ? C’est ça ?

  7. Avatar de Ray
    Ray

    an 40, je parle tout simplement non pas de ceux non pas qui « osent » leur opinion est libre, mais de ceux qui en vivent grassement en racontant des contes effrayants pour enfants en mal de sommeil. Vos noms cités sont-ils dans la liste? Allez savoir?

  8. Avatar de an391

    Mais il ne s’agit pas d’opinions Raymond, il ne s’agit pas d’opinions, vous avez un peu trop tendance à l’oublier …
    Il arrive un moment où effectivement il faut faire le choix entre la vérité des faits et chiffres, et les boniments.

  9. Avatar de an391

    Quand à en vivre « grassement », vous allez un peu vite en besogne je pense, même très vite

  10. Avatar de anonymous56
    anonymous56

    @Raymond
    >Alors ils agitent le chiffon rouge >antinucléaire pour attirer la grenouille >écolo…et brûlent leur cher lignite local et >vont encore plus émettre de GHG.
    Et apres les sécheresses sont de plus en plus dures, c’est que l’on appelle rendre service à la nature.
    >Je n’adhère pas à cette croyance et pense que >l’humanité n’a pas le choix si elle veut >survivre décemment et dans la paix que de >composer au mieux avec les ressources dont elle >dispose au gré des inflexions de sa créativité >et du progrès technologique.
    Je suis d’accord avec toi d’utiliser au mieux les ressources disponibles.
    Par contre, je considère que nous sommes au pied du mur et nous n’aurons d’autre salut pour l’humanité que de passer à d’autres sources d’énergie que le charbon ou le pétrole.
    Pour moi, la maitrise de la fusion nucléaire quel qu’en soit le prix est un impératif.
    Or je ne vois aucun article sur ce thème sur ton site.
    La fusion nucléaire est la suite logique de la maitrise de l’énergie par l’homme : charbon, pétrole puis nucléaire. A chaque étpape technologique , le rapport poids/puissance du combustible n’a fait qu’augmenter.
    Si la fusion nucléaire n’est pas maîtrisée au plus tot, j’ai peur qu’une partie de l’humanité se trouve plongée dans un remake réaliste des films Mad Max (plus de pétrole) ou Soleil vert (plus de nourriture sauf l’homme).
    Il ne faut pas oublier que 1% de l’énergie mondiale ou 4 % du gaz naturel sert au procédé Haber-Bosch de création des engrais azotés nécessaire à la croissance des plantes. C’est LE procédé chimique industriel le plus important du XXeme siècle. http://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A9d%C3%A9_Haber

  11. Avatar de juju

    @anonymous56 : interressant comme réflexion. je prend note et regarde Haber-Bosh de plus près.

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