Essai de segmentation du marché pétrolier: une volonté américaine

Depuis 1975, suite au premier choc pétrolier, et afin de préserver les ressources pétrolières américaines pour les besoins du pays, par l’ »Energy Policy and Conservation Act »  renforcé en 1979 par l’ »Export Administration Act »,  les exportations hors des États-Unis de pétrole brut sont soumises à autorisation de la Présidence. Dans les faits seuls quelques dizaines de milliers de barils par jour de brut sont exportés hors des US, vers le Canada,  par ailleurs gros fournisseur de pétrole des États-Unis. Par contre, les exportations de produits raffinés sont, elles, autorisées. Cet état de fait explique l’existence de deux grandes familles de prix du pétrole dans le monde l’une aux États-Unis avec comme benchmark le WTI coté à New York et échangé physiquement à Cushing (Oklahoma). L’autre famille (hors Russie) avec pour benchmark le Brent coté sur l’ICE à Londres et talonné par  le brut DME coté à Doubaï, qui affichent à quelques dollars près entre les deux, le  prix du brut mondial, hors USA et Russie.

Question: Y-a-t-il une chance pour que l’exécutif américain change un jour la règle du jeu? Ceci apparait comme peu probable. En effet en raison des productions américaines croissantes de condensats de gaz de schistes en parallèle avec  des importations de pétrole brut lourd adapté aux raffineries américaines, le Golfe du Mexique et ses raffineries regorgent de pétrole ce qui pousse les prix du brut WTI vers le bas et favorise les exportations américaines de produits raffinés lucratifs tels que le gazole. Une autorisation sans contrainte des exportations de brut américain se traduirait immédiatement par une augmentation des prix du baril de brut américain et par une baisse des prix du pétrole mondial, avouons-le, ceci n’irait pas dans le sens des intérêts économiques américains.

Quelques données quantitatives : depuis plus d’une décennie les raffineries américaines ingurgitent 15 millions de baril de brut par jour. Ceci représente un cinquième (15/76) des productions mondiales de brut et de condensats dans le monde.

Pour alimenter leurs raffineries les États américains disposent de leurs propres productions de brut qui croissent et atteignent en ce moment autour des 7,5 millions de barils par jour et des importations qui décroissent et restent encore autour des 7,6 millions de barils par jour.

On le voit, les États-Unis sont encore dépendants à hauteur de 50% des importations de pétrole brut s’ils veulent faire tourner à plein régime leurs outil de raffinage et exporter. L’EIA qui a récemment publié sur ce sujet affichait pour 2010 un taux de dépendance aux importations de 62%. Les données changent à toute vitesse.

A partir de ces données il est possible de pronostiquer que la charge des raffineries américaines va de moins en moins dépendre du pétrole importé. Ceci implique que l’Administration américaine va devenir de moins en moins sensible à l’accroissement des prix du pétrole mondial (non américain). L’Arabie Saoudite leader de l’OPEP, pourra alors de plus en plus librement exercer toute pression à la hausse des prix mondiaux, si elle le désire, sans avoir besoin de demander l’autorisation préalable à son grand protecteur américain, elle pourrait même être sollicitée par ce dernier pour le faire.

Tout cela dessine pour les années à venir, une baisse des cours du baril de pétrole américain par excès de ressources et une hausse des cours du baril de pétrole mondial, contrôlés  par un cartel et tirés vers le haut par les consommations asiatiques, avec pour conséquence un accroissement du spread entre les deux. Ce spread était tombé au plus bas (entre 2 et 3$ le baril) au mois de Juillet 2013 avec la suppression du goulot à Cushing , il est revenu cette semaine autour des 12 dollars le baril. Le revoir vers les 20 ou 30$ le baril n’aurait rien d’étonnant. Un avantage concurrentiel américain indéniable.

Le 7 Novembre 2013

 

ACCEDER aux débats américains sur le sujet:

US export ban dans le ft.com lire à partir de Google le très bon papier de Nick Butler: https://www.google.fr/search?q=google&rls=com.microsoft:fr:IE-Address&ie=UTF-8&oe=UTF-8&sourceid=ie7&rlz=1I7GGLJ&gws_rd=cr&ei=xUV7UveiI-GZ0QXVv4GgCg#q=US+export+ban&rls=com.microsoft:fr%3AIE-Address

Commentaires

5 réponses à “Essai de segmentation du marché pétrolier: une volonté américaine”

  1. Avatar de Bren
    Bren

    « Le revoir [le spread WTI/Brent] vers les 20 ou 30$ le baril n’aurait rien d’étonnant. Un avantage concurrentiel américain indéniable »

    S’il n’y a plus de goulot physique à Cushing et que les US restent importateur de brut, comment ne pas y avoir justement une baisse du spread ? Les raffineries, si elles ont le choix (plus de goulot), font un arbitrage qui tend à égaliser les cours.

  2. Avatar de Raymond Bonnaterre
    Raymond Bonnaterre

    Bren, un pétrole américain pas cher par excès de ressources (comme c’est le cas aujourd’hui pour le gaz naturel) et un pétrole mondial à cours élevés, pilotés par des demandes asiatiques croissantes, cela conduit à un spread élevé. Pour mémoire ce spread a dépassé les 25$ par baril durant l’automne 2011.
    Les raffineries américaines, à qualité égale, achèteront le moins cher….à condition de trouver le pétrole lourd qui leur va bien pour produire du gazole….et ce ne sont pas les condensats de gaz de schistes qui seront bradés.
    Les US importeront peu et n’auront aucune influence notable sur le cours mondial. Dès aujourd’hui les grands acheteurs au Moyen-Orient sont la Chine et le Japon…..les acheteurs US deviennent marginaux sur ces marchés.
    C’est pour cela qu’il faut segmenter le marché, pour comprendre ces fluctuations relatives des prix.
    Par contre la concurrence mondiale fera rage sur les produits raffinés. En particulier sur les gaz liquides comprimés (propane et butane) et sur l’essence venant des condensats légers américains.
    Sale temps en vue pour le raffinage européen!

  3. Avatar de Raymond Bonnaterre
    Raymond Bonnaterre

    Iran ou pas Iran?

    Envisager que les dirigeants de ce pays, actuellement au pouvoir, pourraient devenir subitement réalistes ne me semble pas être une hypothèse à privilégier.
    L’Iran aujourd’hui consomme en volumes la moitié environ de ce qu’il produit. C’est potentiellement un grand acteur du pétrole mais encore faudrait-il que son cadre politique le lui permette.
    LIRE dans EIA le monde du pétrole avec ou sans l’Iran.
    http://www.eia.gov/analysis/requests/ndaa/?src=home-b4

  4. Avatar de Tonton
    Tonton

    « When the NSA used the Internet to infiltrate OPEC’s computers, its analysts discovered an internal study in the OPEC Research Division. It stated that OPEC officials were trying to cast the blame for high oil prices on speculators. A look at files in the OPEC legal department revealed how the organization was preparing itself for an antitrust suit in the United States. And a review of the section reserved for the OPEC secretary general documented that the Saudis were using underhanded tactics, even within the organization. According to the NSA analysts, Riyadh had tried to keep an increase in oil production a secret for as long as possible. »

    http://www.spiegel.de/international/world/how-the-nsa-and-gchq-spied-on-opec-a-932777.html

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