Réflexions sur les faiblesses tactiques d’une certaine pensée écologique occidentale

La pensée écologique occidentale qui s’exprime sur nos médias, décrit le monde tel qu’il devrait être et non pas celui tel qu’il est ou tel qu’il sera probablement dans quelques années. C’est la raison pour laquelle cette façon d’imaginer le futur est une idéologie. Elle annonce vouloir transformer le monde pour le rendre meilleur, bien sûr. Qui adhèrerait à une idéologie qui voudrait rendre le monde pire qu’il ne l’est aujourd’hui? L’Homme et la Femme ont toujours eu besoin de chamanes leur annonçant sur les murs des grottes de bonnes chasses et donc de copieux festins à venir, de curés leur ventant le Paradis ou de Politiques leur annonçant des « Lendemains qui chantent » ou la primauté de leur race.

L’énergie du futur proviendra du vent et du soleil.

Mais qui peut être contre ce postulat énergétique évident et sans appel?

Personne!

Les plus politiquement incorrects, les minables radoteurs dont je fais partie, objectent alors avec respect et courtoisie:

 » Oui, bien sûr, mais ce sont pour l’instant des énergies intermittentes, sinon aléatoires,  face aux centrales électronucléaires, aux centrales à flamme, qui sont des ressources électriques de base. Vouloir remplacer ces ressources de base par des ressources intermittentes n’a aucun sens, sinon en mettant en place de copieux stocks tampons sous forme de batteries électrochimiques, de stations de pompages turbinage ou de tout autre stockage énergétique à base d’air comprimé, de chaleur ou de volants d’inertie.

Transformer les énergies intermittentes aléatoires en ressources énergétiques modulables et mobilisables à tout instant est une condition nécessaire pour pouvoir réaliser la substitution des centrales à flamme ou électronucléaires par des parcs éoliens ou photovoltaïques.

Il faut donc installer, en parallèle avec le développement de ces ressources nouvelles, des stocks disponibles et  mobilisables de puissance électrique sur le réseau, ceci me semble assez aisé d’en convenir.

Mais avant d’investir dans de tels moyens onéreux de stockage il apparaît qu’une autre condition nécessaire se fait jour: c’est que l’opération soit rentable ou soit subventionnée par la puissance publique. Or, la rentabilité repose sur la différence de prix du MWh électrique entre heure creuse de mise en stock et heure de pointe de demande de mise à disposition. Pour que cette différence de prix soit suffisante à l’établissement d’une bonne rentabilité, il est nécessaire de maintenir des prix de gros sur le réseau suffisamment discriminants entre heure creuse et pointe de demande. Or, en raison du subventionnement tarifaires des énergies renouvelables et aux investissements massifs, déconnectés des contraintes de marché, qu’ils encouragent, c’est aujourd’hui l’inverse qui apparaît avec l’effondrement des prix de gros sur le réseau Ouest-Européen (FIG.).

FIG. Evolution des prix de gros de l’électricité en Europe (EEX) en prix de base et en heures de pointes (Fraunhofer, mise à jour Septembre 2014)

Il y a donc, sur le réseau Ouest-Européen, conflit d’intérêt entre le subventionnement tarifaire de la génération d’énergie éolienne ou solaire qui fait effondrer les prix de gros et le développement rentable à grande échelle du nécessaire stockage d’énergie.

Ce n’est donc pas la production d’énergies renouvelables intermittentes qu’il faudrait subventionner, c’est la mise en place de moyens de stockage qui devrait être traitée comme une ressource supplémentaire.

Une autre stratégie dite de « smart grid », avancée, de bon droit,  par les industriels de l’électrotechnique, vise à réduire l’intensité des pointes d’appel de puissance électrique en reportant, par modulation des prix au détail,  la demande immédiate vers des périodes de temps plus paisibles. Là aussi, assez paradoxalement, ce report de demande de puissance va agir à la baisse sur les prix de gros aux heures de pointe et défavoriser la mise en place de moyens de stockage.

A ma connaissance, en Europe, quelques centrales de pompage turbinage sont, à ce jour en cours de construction. Citons celle de Nant de Drance dans le Valais Suisse, d’une puissance de 900 MW, il devrait en coûter un peu moins de 2 milliards de Francs Suisses aux promoteurs du projet.  Sans oublier le doublement de puissance de la centrale suisse de Veytaux qui devrait passer de 240 à 480 MW.  Selon Alpiq, la puissance de pompage turbinage suisse qui est aujourd’hui de 1700 MW devrait être portée vers les 4000 MW d’ici à 2020 au moyen de divers projets.

Plus généralement, en Europe il y avait en 2013, d’après le BDEW, 170 stations de pompage-turbinage en opération pour une puissance cumulée de 12 500 MW dont la majorité est installée en Allemagne, Autriche et Suisse qui représentent en 2014 dans les 11500 MW. Il y avait en 2013 pour 11000 MW de puissance en projet, mais combien de ces projets ont-ils trouvé ou vont-ils trouver un financement rentable?

L’avenir de la génération de l’électricité par les énergies intermittentes en Europe de l’Ouest passera par un développement des moyens de stockage. Malheureusement le subventionnement des productions conduisant à des surcapacités installées et à un effondrement des prix de gros handicape les investissements dans ces moyens nécessaires.

LIRE sur ce sujet la déclaration pertinente de la Conseillère Fédérale Doris Leuthard

Le 16 Septembre 2014

 

 

Commentaires

10 réponses à “Réflexions sur les faiblesses tactiques d’une certaine pensée écologique occidentale”

  1. Avatar de Dr. Goulu

    Bravo ! il est très rare de trouver un article explosant la problématique de manière aussi claire et concise.

    Certains s’opposent au subventionnement des systèmes de stockage en arguant qu’ils ne produisent pas d’énergie. Pourtant les mêmes veulent favoriser le recyclage des déchets et leur revalorisation. Je prétends qu’un système de stockage est un « recycleur de puissance » : il prend de la puissance qui devrait être jetée, la recycle en énergie potentielle et la refournit en puissance utile au moment voulu.

    A mon sens, un des problèmes du débat sur l’énergie est de faire comprendre qu’en fait on ne produit/consomme pas de l’énergie mais de la puissance.

    Et bravo pour votre connaissance des gros chantiers en cours en Suisse. J’ai eu la chance de visiter Nant de Drance et c’est vraiment impressionnant. J’espère y retourner bientôt (j’ai mes entrées…) Ca vous dirait de venir ?

    http://www.drgoulu.com/tag/hydroelectricite/

  2. Avatar de Dr. Goulu

    Le « explosant la problématique » est un lapsus involontaire, mais je le trouve pas mal 🙂

  3. Avatar de Raymond Bonnaterre
    Raymond Bonnaterre

    Docteur, je vous remercie pour vos commentaires que je sais avisés. Je ne vois pas comment, en Europe de l’Ouest, nous pourrons poursuivre une transition, forcément lente, vers les énergies renouvelables sans remettre en cause les mécanismes d’incitation imaginés, à la va-vite, en période de démarrage. Il me semble qu’il faudrait s’attaquer maintenant aux vrais problèmes, dont les principaux sont l’intermittence des générations et le respect des lois de marché ce que négligent les mécanismes germaniques en vigueur.

  4. Avatar de Fernand
    Fernand

    Je retiens particulièrement le premier paragraphe .u

  5. Avatar de Ray
    Ray

    Les mêmes causes générant les mêmes effets, la Californie, focalisée sur les ressources photovoltaïques rencontre les mêmes problèmes d’instabilité de réseau. Le pompage turbinage étant par force limité dans les zones désertiques ce sont les batteries électrochimiques en conteneurs qui sont favorisées.
    LIRE le communiqué de SAFT sur ce sujet:
    http://www.businesswire.com/news/home/20140918006242/en/Saft-Deliver-Li-ion-Energy-Storage-System-California#.VB5K3FcuewJ

  6. Avatar de BMD
    BMD

    RB, vous êtes bien généreux d’attribuer une pensée à l’écologiste moyen occidental, qui est dans la plupart des cas un personnage qui parle d’autant plus passionnément de la nature qu’il la connaît moins. Comme Jean-Jacques Rousseau, il se met en scène dans une nature qui n’est pour lui qu’un décor. Et les techniques de stockage de l’électricité, c’est pour lui de l’hébreu.
    Il n’en reste pas moins que vous avez bien raison de souligner que la rentabilité du stockage est la première condition de son développement et que les ENR électriques sont en train de la détruire, comme elles détruisent les centrales de back-up ( pour l’instant surtout à gaz) qui leur sont pourtant nécessaires pour subsister. C’est le virus qui tue son hôte et mourra donc de ce fait. Solution: subventionner le stockage et les centrales de back-up, donc augmenter encore le coût de l’électricité pour le consommateur.

  7. Avatar de Raymond Bonnaterre
    Raymond Bonnaterre

    Une Californie truffée de batteries, financées par l’Administration fédérale
    http://www.businesswire.com/news/home/20140924006193/en/SCE-Unveils-Largest-Battery-Energy-Storage-Project#.VCPEFlcuewJ

    1. Avatar de BMD
      BMD

      RB, la règle de pouce que j’ai en tête est qu’il faut 50 MWh par MW d’éolien pour compenser une semaine sans vent. Si la France installe 25 GW d’éolien selon le Grenelle, il faudra donc 1250 GWh de stockage par semaine sans vent, alors que nous n’en avons qu’à peu près 100.A tripler par sécurité ( 3 semaines sans vent çà arrive de temps à autre.
      Sans doute avez vous quelque idée là-dessus?
      Si j’ai raison, on parle sur votre lien d’installer 32 MWh de batterie pour venir au secours de 4500 MW d’éolien! Une minuscule rustine en somme, pas une solution!

  8. Avatar de Raymond Bonnaterre
    Raymond Bonnaterre

    BMD, en Europe l’espace pertinent pour parler du réseau électrique est le continent ouest-européen supervisé par l’Entso-e.

    https://www.entsoe.eu/about-entso-e/inside-entso-e/member-companies/Pages/default.aspx

    Parler d’équilibre nation par nation n’a que bien peu de sens, ce qu’ont découvert les opérateurs allemands qui jouent à fond sur l’export prioritaire de leurs bouffées photovoltaïques, entre midi et deux, et l’import du bon courant électronucléaire français quand il n’y a pas de vent en Mer du Nord.

    La puissance électrique n’a pas d’odeur.

    (Je ne sais pas le traduire en allemand, cela ferait pourtant une parfaite devise pour la très moderne et très riche Allemagne écolo)

    Dans ce bout du continent Européen, il est évident que le Massif Alpin (Suisse, Italie, Autriche, France, Allemagne) joue un rôle primordial dans les réserves de pompage turbinage qui sont essentielles à l’équilibrage en puissance et donc en fréquence du réseau.

  9. Avatar de BMD
    BMD

    Mais oui RB, je me contentais de monter la disproportion entre les stockages français et les besoins de l’ éolien français. A l’échelle de l’ENTSOE, du fait du très faible foisonnement, il n’y a pas véritablement de lissage de l’éolien. Je ne connais pas exactement la puissance d’éolien qui sera installée en 2025 dans les pays de l’ENSTOE, mais je suppose qu’elle sera de l’ordre de 150 GW. Ce qui nous donne 7500 GWh de stockage à installer pour une semaine sans vent, 3 fois plus par précaution ! Couvrir toute l’Europe de massifs Alpins dont toutes les vallées seraient occupées par des STEP n’y suffira pas !

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