Il est plus aisé et moins onéreux de stocker des gigabits que des gigawatts

L’analogie entre réseau internet et réseau électrique (« grid »), à la source du concept de « smart grid » ou de réseau intelligent, nous vient de penseurs gaucho-altermondialistes américains, motivés par leur détestation pour le système économique en place. L’Homme libre moderne, assez proche de l’anarchiste traditionnel, mais assez riche pour investir, car initialement américain, pourrait subitement devenir à la fois producteur et consommateur d’énergie, ses excédents de production seraient, gratuitement acheminés bien-sûr, et revendus à ses voisins. A quoi servent donc ces énormes Compagnies obsolètes qui investissent sur des durées de plusieurs décennies dans les moyens classiques de génération, alimentés par l’atome, le gaz naturel, le lignite, le charbon ou l’énergie des fleuves ou des lacs d’altitude et dans de complexes réseaux de distribution assurant, à tout moment, la mise à disposition de la puissance électrique nécessaire.

Une multitude de ressources privées ou communales, intriquées entre elles, devrait suffire à satisfaire les besoins de puissance électrique de la Nation, à condition qu’un système complexe et intelligent relie tous les consommateurs et tous les producteurs (qui sont les mêmes ou presque).

Mais pour qu’un tel système soit viable il est nécessaire de disposer à tout instant de ressources de puissance disponible qui peuvent être soit des stocks de puissance (batteries électrochimiques, stations de pompage-turbinage, réserves chimiques aux rendements inappropriés, etc.) soit, comme en Allemagne aujourd’hui, un formidable réseau de moyens de production, foisonnants, plus ou moins subventionnés car sous-utilisés .

Internet repose sur l’interconnexion apparente des utilisateurs, au travers de centres de stockages des données gérés par les hébergeurs qui stockent des milliards de gigabits dans, soi-disant, un « nuage ». Ces données sont consultables et non consommables. Elles ne s’épuisent pas, sinon sous la contrainte du temps qui les rend obsolètes.

Mais le « nuage » du stockage électrique est bien plus onéreux à mettre en place et à maintenir. Ces stocks sont consommables et doivent être en permanence entretenus. Là réside le hic du problème et les limites de l’analogie stupide entre réseau électrique et réseau internet.

Mais, me direz-vous, il reste cependant une alternative: c’est de limiter les consommations en heures de pointes, façon élégante de limiter les appels intempestifs de puissance et donc de stabiliser le réseau. Le principe d’effacement, en échange de tarifs avantageux, est déjà opérationnel. Demain il serait généralisé au moyen de compteurs intelligents qui feront fluctuer les tarifs au cours de la journée. Nous risquons de vivre alors une période de restriction de puissance généralisée par les prix qui touchera bien-sûr les plus pauvres ou les dernières industries électro-intensives qui nous restent encore et qui fuiront immédiatement.

Toutes ces thèses écolo-anarchistes qui relèvent de la conviction des bienfaits des micrproductions, sont aujourd’hui défendues, assez paradoxalement, sur un site d’ERDF financé par les consommateurs et contribuables que nous sommes. Y apporter la contradiction est une tâche difficile mais les thèses défendues vont dans la ligne du pouvoir en place et des prêches relevant de la soi-disant transition énergétique, escroquerie intellectuelle du moment. Y-aurait-il là, une forme classique du moment, de collusion insupportable entre pouvoir politique exécutif et agence administrative technique? A chacun de former son opinion.

Le 24 Juillet 2016

 

Commentaires

5 réponses à “Il est plus aisé et moins onéreux de stocker des gigabits que des gigawatts”

  1. Avatar de papijo
    papijo

    « les thèses défendues vont dans la ligne du pouvoir en place »: Rien d’étonnant à cela, on pourrait dire aussi « les thèses défendues vont dans la ligne de l’actionnaire majoritaire ».

    On peut (heureusement) remarquer que l’appui à cette politique se traduit fréquemment en termes de « service minimum ».

    Un exemple (tiré d’une interview de C. Bonnery): « Le jour où on arrivera, dans des conditions économiques, à avoir un stockage compétitif, on pourra considérer que l’électricité devient une commodité comme toutes autres, comme un marché de pomme de terre, de tomates, de pétrole, des produits qui se stockent. Donc, il y aura une donne complètement différente.  »

    Quand on n’a pas le droit de dire « On n’a aucun moyen aujourd’hui de stocker votre électricité intermittente », il faut bien le dire sous une autre forme (que malheureusement le grand public risque de ne pas saisir) !

  2. Avatar de Raymond Bonnaterre
    Raymond Bonnaterre

    Papijo, j’ai effectivement lu le papier de Bonnery, sur le site d’ERDF. Il pressent que la génération électrique décentralisée souffrira de certaines lacunes. Il faut reconnaitre, à son crédit, que son intuition n’est pas totalement erronée.

  3. Avatar de BMD
    BMD

    Un des problèmes de la théorie de la génération électrique généralisée, surtout si elle est n’utilise que des EnR électriques intermittentes, est que l’on y considère de façon abstraite que toutes les unités productrices disposent de la même capacité de production par unité de surface. Or il n’en est rien: 1 m2 de panneau solaire produira toujours deux fois plus dans l’année à Nice qu’à Lille et 1 MW d’éolienne 3 fois plus à Narbonne qu’à Toulouse. L’hydroélectricité sera toujours cantonnée aux territoires montagneux. Pour gommer ces différences,dans l’esprit démocratique et républicain qui ont le sait est une des caractéristiques revendiquées de l’Homo Ecologicus, les plus riches devront venir au secours des plus pauvres, et donc un système de péréquation et un réseau de distribution seront nécessaires, lesquels seront nécessairement régis par des systèmes centralisés.
    D’autre part la fabrication et la maintenance de ces systèmes ne pourront pas être assurées à l’échelle d’une unité productrice, à moins d’être très peuplée et étendue, car les compétences et les matériaux nécessaires ne pourraient y être présents. Et beaucoup des matériaux nécessaires ne sont même pas présents sur le territoire français!

  4. Avatar de Raymond Bonnaterre
    Raymond Bonnaterre

    Vos arguments sont bien sûr pertinents, BMD, mais je pense que les tares majeures de cette idéologie de génération morcelée, reposent sur les faiblesses de l’intermittence ce qui suppose, à service constant, des stocks d’énergie électrique disponibles ou des moyens de génération de secours toujours disponibles, ce qui a un coût. La maintenance des moyens dispersés de génération, forcément assurée par des acteurs qualifiés, fait partie des coûts, tout comme la distribution.
    Le phalanstère électrique n’est pas pour demain.

  5. Avatar de Raymond Bonnaterre
    Raymond Bonnaterre

    Les pertes comptables de l’allemand E-On, par dépréciation (3 mrds d’euros pour l’instant) de la valeur de ses moyens traditionnels de génération électrique qui vont être rassemblés dans une nouvelle enveloppe boursière, Juniper, illustrent les grandes difficultés actuelles des grands industriels allemands de la génération et de la distribution d’électricité.
    http://www.romandie.com/news/EON-nouvelle-perte-abyssale-et-plongeon-en-Bourse_RP/727561.rom

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