De nombreux champs pétroliers demanderont d’immenses quantités de CO2 pour récupérer à fond la ressource

 L’extraction de pétrole de la roche mère fait l’objet de nombreuses innovations dans le monde qui améliorent sans cesse le taux de récupération de la ressource et rendent obsolètes les prévisions d’antan qui pré-supposaient figées les technologies mises en œuvre. Après le jaillissement spontané de la ressource il est fait appel à l’injection d’eau dans le réservoir (récupération secondaire), puis s’il est disponible, l’utilisation de gaz carbonique permet une récupération tertiaire (Enhanced Oil Recovery ou EOR). Enfin les spécialistes de ces techniques parlent maintenant de récupération quaternaire qui concerne l’extraction par le CO2 de pétrole contenu dans la porosité de roches sous-jacentes des « Residual Oil Zones » ou ROZ à l’interface entre le réservoir principal et les salines inférieures (FIG.I projection cerclée de rouge). Ces ressources importantes n’étaient jusqu’à présent pas prises en compte dans les réserves accessibles, mais elles vont nécessiter de larges quantités de CO2 pour être récupérées.

FIG.I – illustration projetée d’un pic quaternaire de production (Seminole San Andres Unit)

EOR-ROZ-Brownfield-quaternary oil

 Aux États-Unis les professionnels estiment la contribution de la récupération tertiaire à l’aide de CO2 aux environs de 300 mille barils/jour (FIG.II) soit 6% de la production américaine de pétrole. Elle concerne pour l’essentiel le « Permian Basin » situé à cheval entre le Nouveau Mexique et le Texas.

FIG.II – Contribution de la récupération tertiaire (EOR) par injection de CO2 aux productions américaines de pétrole

EOR-USA-barils par jour

 Ce large bassin pétrolifère a produit depuis 80 ans d’exploitation dans les 32 milliards de barils de pétrole. Le DOE et divers consultants américains estiment que, grâce aux extractions quaternaires en particulier, ce sont encore près de 12 milliards de barils qui seront extraits du sol durant les 30 ou 50 ans à venir. Compte tenu des technologies actuelles disponibles il reste un volume de pétrole égal au tiers de la ressource déjà extraite à récupérer. Mais pour cela il faudra disposer de très grandes quantités de CO2. En effet sur la base de 1,5 à 2 barils de brut extraits par tonne de CO2, il faudra injecter et séquestrer 6 à 8 milliards de tonnes de CO2. De quoi à allonger encore et encore la queue de la courbe de Hubbert de ce large champ.

L’équation économique semble à ce jour limpide: pour quelques dizaines de dollars à payer pour une tonne de CO2 ce sont près de deux barils de pétrole à plus de 100 dollars le baril qui vont être récupérés. Voila une équation qui va dynamiser le captage du CO2 aux États-Unis et dans d’autres régions pétrolifères dans le monde.

Le MIT préconise la construction d’un large réseau de pipelines de CO2 en forme de fer à cheval qui relierait les infrastructures américaines existantes (FIG.III). Le DOE préconise un réseau encore plus dense reliant les grandes centrales au charbon du Centre-Est à cette amorce d’infrastructure.

FIG.III – Réseau de pipelines transportant du CO2 aux Etats-Unis.

EOR-CO2-pipeline2

Ces considérations montrent combien l’équation du captage et de la séquestration du CO2 peut passer d’un concept plutôt farfelu, très vaguement écolo, consommant de l’énergie, à une équation beaucoup plus réaliste permettant à partir de charbon et de biomasse par exemple de définir des centrales électriques à gazéification intégrée (IGCC) dont le CO2 récupéré sera vendu aux pétroliers pour récupérer du pétrole. L’enjeu économique final avec un prix du baril de pétrole au-dessus des 100 dollars, rend l’ensemble de la filière économiquement très rentable. La probabilité d’une telle réalisation dans les décennies à venir est donc élevée.

Ces données illustrent les propos de Richard Nehring qui soulignent l’importance généralement sous-estimée de la croissance du taux de récupération du pétrole, « recovery growth », sur l’estimation des ressources ultimes de pétrole conventionnel.

 Pour accéder à ces informations on pourra par exemple se reporter au rapport du MIT energy initiative et du Bureau of Economic Geology issu d’un symposium tenu à Austin en Juillet 2010. Le papier de Kuuskraa (page 151), président d’ARI, est particulièrement clair est convaincant. Il prévoit une contribution de ces technologies aux U.S.A. pouvant représenter des productions de pétrole pouvant aller jusqu’à 2,8 millions de barils/jour en 2030. Les prix à venir du baril de pétrole pourraient lui donner raison.

Le 28 Mai 2011

Commentaires

14 réponses à “De nombreux champs pétroliers demanderont d’immenses quantités de CO2 pour récupérer à fond la ressource”

  1. Avatar de I.Lucas
    I.Lucas

    Il faut remettre cela en perspective :
    – de 2004 à 2008 le monde a connu une forte croissance économique alors que la production de pétrole est restée constante.
    l’élasticité de la demande de pétrole a pu être calibrée sur cette période ; l’élasticité de la demande au prix du pétrole est de -0,007!
    source : étude du FMI de 2011
    http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/weo/2011/01/pdf/textf.pdf
    Les études de Nehring conduisent à un plateau de production à un niveau de production qui ne dépasse que de 10% la production de 2010.
    Cela reste un immense défi!

  2. Avatar de anonymous56
    anonymous56

    @ Raymond,
    As-tu vu cette nouvelle :
    Explorer les fonds de tiroir :
    l’Arabie Saoudite va remettre en exploitation son plus ancien puits de pétrole (Arabian Business)
    http://www.arabianbusiness.com/saudi-looks-at-restarting-its-first-oilfield-401853.html
    On est vraiment au début de la fin désormais.

  3. Avatar de Benkebab
    Benkebab

    Très bien, c’est une bonne solution de transition pour favoriser le développement du captage et stockage de CO2, mais il ne faudrait pas qu’elle fasse croire aux décideurs que nous trouverons toujours des moyens d’extraire de plus en plus de pétrole.

  4. Avatar de Ray
    Ray

    a56, un début de la fin qui va durer un siècle ou deux… ou trois. Trois ou quatre mille milliards de barils à extraire finement, cela va prendre du temps…et rapporter beaucoup d’argent aux opérateurs comme l’Aramco. La Loi des Rendements décroissants s’applique de façon exemplaire dans le business du pétrole.
    Allez à la serpe:
    40 millions de barils/jour de pétrole très cher (le restant venant des biocarburants, des carburants de synthèse et autres énergies utilisées dans le transport) ou 15 milliards de barils/an ou 1500 milliards de barils/siècle.
    Pas la peine de poser de complexes équations absconnes pour se rendre à l’évidence que la queue sera très longue.
    Lire absolument Richard Nehring.

  5. Avatar de René GRAU
    René GRAU

    Bjr, que lire de R. Nehring ? ( après 1 recherche sur le net, je n’ai rien trouvé de récent). Merci de vos lumières.

  6. Avatar de Ray
    Ray

    René, vous avez un lien dans le texte ci-dessus se reportant à une de ses dernières présentations. Nehring est un homme de terrain qui connaît très bien les problèmes de l’exploitation pétrolière. Mais c’est un Américain qui a du mal, comme tous ses concitoyens parmi les plus éminents, à imaginer une consommation mondiale de pétrole décroissante. Il faut donc le suivre quand il parle de réserves ultimes, mais rester prudent quand il parle de consommations à venir…qui pour lui devraient poursuivre leur croissance.
    A mon avis les prix vont devenir de plus en plus dissuasifs et entraîneront une baisse naturelle des consommations au profit des ersatz et des progrès dans l’efficacité énergétique des processus dans le domaine des transports.

  7. Avatar de Ray
    Ray

    Voir la « EOR initiative » américaine supportée par de nombreuses fondations et autres Politiques. Thème de grande actualité aux États-Unis
    http://www.pewclimate.org/press-center/press-releases/members-congress-support-eor-initiative

  8. Avatar de Ray
    Ray

    Un exemple de vente de CO2 pour EOR provenant d’une future centrale au charbon de 400 MW de type IGCC au Texas.
    La Compagnie pétrolière achètera à partir de 2015 dans les 80 millions de pieds-cube de CO2 par jour avec pour objectif d’extraire un baril de pétrole de plus pour 6000 pieds-cube de CO2 injecté (3 barils par tonne de CO2)ce qui veut dire qu’elle extraira dans les 13 000 barils/jour de pétrole.
    A 120 dollars mini le baril à cette époque cela signifie un CA quotidien autour de 1,5 million de dollars. Nul doute que le CO2 sera bien payé.
    http://www.texascleanenergyproject.com/2011/co2-whiting-petroleum-corporation/

  9. Avatar de Ray
    Ray

    Voir le site du Greencore Pipeline qui va relier à partir de 2012 le Wyoming au Montana pour lui apporter les millions de m3 nécessaires à l’exploitation de gisements de pétrole en voie d’épuisement. Il y aurait selon le DOE entre 1,3 et 3,2 milliards de barils d’huile récupérable dans ces régions des Rocheuses, ce qui veut dire un besoin de CO2 compris entre 3 et 7 milliards de tonnes.
    http://www.greencorepipeline.com/index.html

  10. Avatar de Ray
    Ray

    LIRE l’excellent papier du NETL américain sur la possible récupération rentable de 67 milliards de barils de pétrole aux États-Unis(4 millions de barils/jour pendant 50 ans)à l’aide d’injections de 20 milliards de tonnes de CO2. Les volumes issus des ROZ ne sont pas pris en compte dans cette étude.
    http://www.netl.doe.gov/energy-analyses/refshelf/PubDetails.aspx?Action=View&Source=Main&PubId=391

  11. Avatar de JP
    JP

    L’intérêt du procédé semble évident pour celui qui a des tonnes de CO2 sur les bras.
    Mais pour celui qui a un gisement pétrolier?
    Il semble entendu qu’il y aurait un inconvénient, voire une impossibilité, à utiliser simplement de l’air au lieu du CO2. Quelle est donc la difficulté?

  12. Avatar de I.Lucas
    I.Lucas

    @JP
    Le CO2 à haute pression agit comme un solvant des hydrocarbures.
    C’est aussi un solvant d’autres produits comme le caoutchouc ; c’est une des difficulté pour la mise au point de climatisations automobiles utilisant le CO2 comme gaz frigorigène en lieu et place des hydrofluorocarbures comme le HFC 134a actuelement utilisé

  13. Avatar de JP
    JP

    Merci beaucoup pour l’explication. La logique économique de l’affaire est alors parfaitement claire.
    Si je peux abuser, par pure curiosité scientifique: Faut-il comprendre que le CO2 est ici comprimé au point d’être liquide (bigre, ca pourrait pétiller fortement), ou bien comprendre qu’un solvant n’est pas forcément un liquide, mais peut aussi bien être gazeux?

  14. Avatar de I.Lucas
    I.Lucas

    @JP
    A ces profondeurs, le CO2 est dans un état dit « fluide supercritique » cad qu’il n’y a plus de différence entre un état gazeux et un état liquide, mais il y a un seul état, fluide.
    Le point critique du CO2 est à 31°C et 74 bars.
    Pour comparaison le point critique de l’eau est à 374°C et 220 bars.
    Il est très utilisé actuellement sous cet état :
    http://www.ptaa.be/Newsletter10/CO2%20Supercritique.pdf

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