Un futur candidat déclaré aux élections présidentielles a affirmé dernièrement, sans sourciller, vouloir remplacer le parc électronucléaire français par les ressources géothermiques. J’avoue que malgré la sympathie que m’inspirent le dynamisme et la culture du personnage, les bras « m’en sont tombés ». Ce fait divers illustre la méconnaissance par certains de quelques données énergétiques de base de notre pays et de leurs ordres de grandeur. La France à fin Janvier sur 12 mois avait importé 139 MTEP de combustibles fossiles (dont pétrole et dérivés: 87,4 / dont gaz naturel: 41,2/ dont charbon: 10,6) et en 2010 en Métropole, elle a produit 550 TWh d’électricité à partir de diverses ressources (TAB.). La part électronucléaire représente avec 408 TWh les trois quarts de la production d’électricité. Cette énergie annuelle représente une puissance électrique moyenne de 47 GW.
Le parc électronucléaire français en activité représente une puissance nominale de 63GW. Elle sera portée vers les 65 GW à la mise en route de la nouvelle tranche EPR de 1650 MW de Flamanville. Au sein de ce parc 5 réacteurs ont été implantés avant 1980: deux réacteurs de 880 MW à Fessenheim et trois de 900 MW environ au Bugey.
Le traumatisme causé par l’accident nucléaire japonais a fait subitement ressortir toutes les thèses antinucléaires qui s’articulent généralement autour de la gestion de la pénurie volontaire et du développement de ressources alternatives. Mais lesquelles?
Les générateurs nucléaires assurent la production de base de l’électricité. Cela disqualifie comme cœur de la solution l’éolien ou le solaire faute de solutions de stockage à la hauteur. Alors il reste effectivement la géothermie, le biogaz en complément du gaz naturel et diverses autres solutions à base de biomasse, de vagues, de courants ou de marées qui ne font pas la maille. Il faut savoir que la géothermie dans le monde représente une puissance électrique installée de 10 GW environ dont 2 sur la côte ouest des États-Unis, 2 aux Philippines, 1,2 au Mexique, 1,2 en Indonésie, 0,9 en Italie, 0,6 en Islande, pays où les sous-sols remuent beaucoup et parfois les volcans grondent. Elle n’évolue que très lentement en raison des investissements élevés par MW. Les États-Unis envisageaient avant la crise de porter la puissance installée à 12GW à l’horizon 2025, mais où trouveront-ils les investisseurs? La France est heureusement peu concernée par ces phénomènes tectoniques et vouloir développer massivement cette filière dans notre pays me semble être une hypothèse bien audacieuse.
Pour remplacer le nucléaire en France il ne reste donc plus que le charbon ou le gaz. Oublions pour l’instant le charbon trop polluant et difficilement transportable, il reste donc une option réaliste à base de gaz naturel qui serait constituée de ce qui se fait ou va se faire de mieux dans chacun des domaines:
-de centrales au gaz à cycle combiné avec un rendement énergétique de 60% (Siemens, MHI, GE, Alstom)
-d’une alimentation au gaz naturel de plus en plus enrichi en biogaz, jusqu’à 5% ou 10% ? en développant à fond la filière au travers de multiples petites unités agricoles ou urbaines de production de biogaz sur le modèle allemand (voir par exemple le projet Verbio),
-d’un complément éolien offshore, peu éloigné des côtes, constitué d’éoliennes de 6 à 10 MW couplées au centrales au gaz.
Il faudrait donc installer pour remplacer les centrales nucléaires dans les 60 GW de centrales au gaz et dans les 30 à 40 GW d’éoliennes. La puissance installée au gaz devant pouvoir répondre à la demande avec un vent nul durant une période de grand froid anticyclonique, courante sous nos latitudes en hiver. Laissons à d’autres la réalisation de calculs plus précis ce qui importe ce sont les ordres de grandeurs.
En l’absence d’éoliennes les 420 TWhe qu’auraient produit les centrales nucléaires seront assurés par la combustion de 700 TWh thermiques de gaz (60% de rendement) ce qui représente 60 MTEP. Il devient alors possible de calculer ce que représente le parc nucléaire dans le bilan énergétique ‘fossile » de notre pays. Il représente 60/(139+60) = 30% soit une majoration potentielle des importations d’énergie fossile de 60/139= 43%.
Dans l’hypothèse d’un large parc éolien offshore de 40 GW en supplément, en prenant un taux de charge de 30% au large des côtes françaises, ce serait un quart de l’énergie (105 TWh) qui serait founi par les éoliennes. Il ne faudrait plus alors que 45MTEP de gaz naturel pour alimenter les centrales à gaz.
Importer 60 MTEP ou 45 MTEP de gaz naturel supplémentaire à 10$/MMBTU (62 pences/therm) qui est le prix actuel sur le marché spot en Europe cela représente dans les 23 ou 17 milliards de dollars.
En résumé remplacer la totalité des centrales nucléaires en France nécessiterait d’investir dans
-60 centrales au gaz à cycle combiné d’un GW chacune
– en option, pour réduire les consommations de gaz, 40 GW d’éoliennes offshores de 6 à 10 MW chacune, soit dans les 5000 bestioles
A un milliard d’euros le GW (à la louche, mais les volumes agiraient sur les prix unitaires) cela représente dans les 100 milliards d’euros d’investissements. A cette facture il faudrait ajouter une facture supplémentaire annuelle de gaz qui atteindrait à terme dans le 13 milliards d’euros (aux cours actuels) et les frais de démantèlement des centrales.
L’Allemagne qui est très riche et possède un parc nucléaire plus restreint a sûrement les moyens de s’offrir le démantèlement de ses centrales. Je suis certain que la France, même dirigée par une majorité écolo, dans la situation financière où elle se trouve, sous la surveillance des Marchés, ne pourra pas s’offrir un tel projet trop onéreux. Une option serait d’étaler au fil de l’eau un plan sur une quarantaine d’années qui débuterait par la construction d’éoliennes et de centrales au gaz en substitution des centrales nucléaires les plus anciennes ou des plus délabrées. Cela apporterait au moins plus de souplesse dans la gestion du parc. Les régions les plus isolées (Bretagne, Sud-Est) pourraient être ainsi désenclavées.
Une opportunité serait encore envisageable, à condition de prospecter, si par miracle notre sous-sol regorgeait de gaz non conventionnels. Il faudrait alors choisir entre la peur atomique et les nappes phréatiques polluées…je vous le prédis concitoyens gaulois: le ciel va nous tomber sur la tête!
Les évènements du Japon ne marqueront pas la fin du nucléaire, les prix croissants des énergies fossiles lui garderont tout son attrait. Mais je crois qu’ils auront après réflexion, définitivement condamné le nucléaire « low-cost » fait maison, ce qui est une excellente chose.
LIRE le Bilan Electrique Français sur RTE
Le 18 Mars 2011

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