Nous assistons médusés à ce soi-disant virage énergétique allemand, fait de recettes unilatérales, comme la fermeture brutalement décidée d’une large part des capacités électronucléaires du pays, dont certains voudraient s’inspirer et les appliquer à leurs façons, mais sans se rendre compte que l’Allemagne a pris les devants ce qui rend, pour un pays voisin, quasiment impossible toute imitation du coup de force .
Un peuple, détaché des idéologies du moment, peut-il parler sérieusement de l’avenir de ses enfants tout en laissant ses dirigeants faire le nécessaire pour les conduire dans une impasse énergétique?
Non, les ressources électriques aléatoires et intermittentes ne conduiront pas à elles seules, dans un avenir prévisible et à un prix acceptable, à la mise à disposition d’une puissance électrique continue suffisante sur le réseau de l’ensemble de l’Ouest Européen, espace pertinent où se créent et s’échangent nos ressources électriques. Les énergies éoliennes ou solaires photovoltaïques trop aléatoires ne peuvent pour l’instant que servir d’appoint sur un fond prévisible de puissance modulable, issue de la combustion des énergies fossiles (lignite, charbon, gaz) éventuellement enrichies de biomasse stockable et disponible (pellets et autres granulats) ou issue de l’énergie des atomes. Les énergies renouvelables continues telles que celles issues des centrales hydroélectriques au fil de l’eau, demain celles issues des courants marins, présentent par leur prévisibilité des caractéristiques d’exploitabilité évidentes.
Le caractère renouvelable d’une énergie est d’évidence une qualité, son caractère aléatoire la condamne à n’être que marginale et sûrement très onéreuse à mettre en œuvre de façon pérenne.
Cette affirmation de bon-sens repose sur le fait que nous ne savons pas aujourd’hui stocker de façon réaliste l’énergie électrique. Les stations de pompage qui nous fournissent aujourd’hui une part de la puissance en heures de pointes en France reposent sur la fourniture fatale et quasi-gratuite d’énergie nucléaire nocturne. Une fois les centrales nucléaires démantelées, quelle ressource nocturne alimentera les stations de pompage? L’éolien aléatoire de pleine mer éloigné des montagnes, le solaire disqualifié la nuit? Allez savoir?
Quand aux batteries électrochimiques, pour l’instant, le projet le plus ambitieux est celui de la sous-station de Sendai au Japon (FIG.) qui va utiliser une batterie Toshiba en tampon de 20 MWh pour générer des pointes de puissance de courant de 40MW , en charge de maintenir la fréquence du courant issu de stations éoliennes et solaires nippones. Ces monstres, sortes d’énormes capacités en tampon, définis pour un maximum d’une demi-heure d’autonomie continue, ne sont pour l’instant que des prototypes qui permettront de valider en vraie grandeur le concept, à la mode japonaise, indépendamment des coûts.
L’approche occidentale du moment est de vouloir faire appel à des « smart-grids » pilotées par des compteurs dits intelligents et qui répartiront à prix fort les faibles puissances électriques disponibles en périodes de disette énergétique. La pénurie de ressources serait régulée par les prix pour que la consommation accompagne la production aléatoire. Gare aux hautes pressions sur la Mer du Nord et la Baltique, alors le kWh issu du réseau dégradé vaudra une fortune. Une consommation régulée par les prix se calquera sur la chiche disponibilité de la ressource. En bon français on appelle une telle issue une stratégie de rationnement et non une « smart grid » terme si acceptable d’un point de vue marketing.
Autre forme d’utopie: se convaincre que l’énergie de l’atome, difficile à maîtriser et dangereuse dans certaines conditions naturelles extrêmes, doit être bannie du mix énergétique des nations. Ceci promeut immédiatement la combustion de lignite et de charbon importé, forme, pour l’instant, la plus économique de génération de courant électrique qui disqualifie, en Europe de l’Ouest, les centrales à gaz moins polluantes, partenaires idéales des ressources intermittentes, mais trop éloignées, par les prix, des critères de sélection des centrales à activer au jour-le-jour par les gestionnaires du réseau européen.
Une autre option pourrait se pencher sur la définition d’unités électronucléaires plus sûres et sur leur implantation dans les zones les moins menacées par les phénomènes naturels extrêmes. Ne pas vouloir examiner cette option me semble être une choix erroné, dicté par l’émotion.
Il me semble important de dénoncer ces utopies, même si ce n’est pas dans l’air du temps qui glorifie un certain jeunisme frugal éclairé, forme d’un écologisme du retour vers un passé qui n’a jamais existé. L’avenir énergétique de nos enfants européens dépend de décisions qui ne semblent pas être toutes dictées par la raison mais plutôt par l’émotion, même si elles permettent à la chancelière Merkel d’être populaire dans son pays, ce qui d’évidence est important pour elle, mais sans aucun intérêt pour la collectivité européenne.
FIG. Énergies électriques générées par technologies en 2011 et distribuées par le réseau Ouest-Européen:
Disqualifier a-priori l’énergie de l’atome dans le mix énergétique du futur me semble être une option insoutenable pour le réseau de l’Ouest de l’Europe. Débrancher l’ensemble des centrales électronucléaires de la zone qui ont généré en 2011, selon l’ENTSO-E , 26,5% de l’énergie électrique totale de la zone (886 TWh sur un total de 3347 TWh, part rose du camembert de répartition par types de génération) et annuler les projets en cours de réalisation conduirait le réseau vers une formidable anarchie électrique dont il est difficile de mesurer les conséquences néfastes pour la santé économique des nations concernées. En 2011, les centrales électronucléaires allemandes avaient généré 101,4 TWh soit 3% de l’énergie générée sur la zone, cette faible part explique que le réseau soit capable d’accepter l’arrêt de toutes les centrales électronucléaires allemandes, mais elle montre aussi que ce geste symbolique ne résout pas la potentielle dangerosité des nombreuses centrales électronucléaires en Europe . Pour la France c’est plus de 4 fois l’Allemagne 2011 (421 TWh en 2011) qu’il faudrait débrancher. On n’est plus dans l’épaisseur du trait.
Remarque: un examen heure après heure des productions allemandes d’électricité en période de forte production éolienne et photovoltaïque, au mois d’Octobre dernier, (FIG.III) montre que ces productions sont encore, la plupart du temps, minoritaires par rapport aux productions conventionnelles. On notera une qualité intrinsèque évidente de la ressource photovoltaïque qui apporte sa part d’énergie durant la journée, si le temps est clair, et s’efface la nuit en heures creuses. Le revers de cette énergie photovoltaïque sur-payée abondante est la mise au repos des centrales classiques qui perdent ainsi leur rentabilité économique. Il faudra donc à terme subventionner la construction et le fonctionnement de centrales thermiques pour qu’elles restent économiquement acceptables. Paradoxe de formes d’énergies que l’on voudrait proscrire mais qui restent indispensables à la bonne marche de l’ensemble.
FIG.III Productions électriques allemandes exprimées en GW horaire moyen durant trois jours, en Octobre 2013, de fortes productions de ressources renouvelables.
LIRE la synthèse des statistiques 2011 publiée par l’ENTSO-E.
La batterie Toshiba pour la sous-station de Sendai.




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