Fragilité des prévisions d’évolution de consommations de pétrole sur la base de la progression du PIB mondial

Lors de la 2010 Energy Conference, organisée par le Department of Energy américain, un des très écoutés spécialistes mondiaux des marchés pétroliers, Adam Sieminski de la Deutsche Bank, a présenté sa vision de l’évolution, à court et moyen terme, des cours du pétrole et des volumes appelés à être consommés. Sa présentation, très raisonnable, pas hawkish du tout, a porté sur les points importants suivants:

-la conviction que la consommation américaine de pétrole, compte tenu d’une évolution moyenne de PIB de 2,5% par an, n’allait plus croître,

-sur la nécessité de maintenir un niveau satisfaisant des cours du pétrole qu’il situe autour de 70$ le baril afin que les dépenses mondiales pour cette ressource d’énergie primaire restent dans une zone soutenable de 3 à 4% du PIB mondial,

– la prévision d’une croissance du PIB mondial de 4,1% en 2010, dont 6% pour les pays NON-OCDE, qui entraînera une croissance des consommations de pétrole de 1,4 millions de barils/jour par rapport à celles de 2009.

La première proposition de Sieminski se démarque des prévisions des diverses Agences et autres prévisionnistes qui envisagent encore une croissance et même pour certains un (questionnable) accroissement des importations américaines de pétrole, comme Mary Novak de l’IHS. Il semble audacieux de dire que la consommation américaine de pétrole va rester stable. Et pourtant l’examen des variations de ces consommations en fonction des variations du PIB chaîné américain durant les cinq dernières années rend cette prévision assez évidente, sinon timorée (FIG.I). Il faudrait une croissance en volume d’au moins 3% du PIB américain pour assister à une reprise des consommations de pétrole. L’année 2009 a par exemple enregistré une décroissance des consommations de pétrole de 4% pour une variation du PIB quasi nulle.

PIB-pétrole-USA-2005-2009 

La deuxième proposition qui fixe un niveau raisonnable des cours pour assurer un maintien de l’économie en bonne santé résume tout le débat sur la manipulation des cours à laquelle on assiste en ce moment. Jusqu’à quel point les cours du brut vont-ils pouvoir grimper sans altérer durablement la bonne santé économique de chacune des grandes régions du monde? Sans nul doute l’Europe est aujourd’hui le malade du monde, avec un commerce mondial en fort retrait, une économie intérieure fragile, des monnaies qui se dévaluent avec le Sterling tout d’abord puis maintenant l’euro et qui renchérissent les prix des produits pétroliers importés. La zone euro va-t-elle pouvoir supporter un pétrole à plus de 75 euros (100$) le baril, zone vers laquelle il se dirige?

Nul doute qu’une mauvaise santé économique de l’Europe se répercutera sur le reste du monde. Si le commerce mondial de la Chine est passé dans le rouge au mois de Février, c’est parce que ses clients, dont l’Europe, le premier d’entre eux, ne se développent pas à son rythme, loin s’en faut.

Ces réflexions conduisent à la troisième proposition de Sieminski qui en accord avec certaines Agences, prévoit une croissance en 2010 de la consommation mondiale de pétrole de 1,4 millions de barils/jour. Il se base pour cela sur les courbes de variations des consommations de pétroles en fonction des variations du PIB. Partant d’une prévision d’évolution du PIB mondial de 4,1% en 2010, dont 6% pour les pays NON-OCDE, il en déduit sur une droite de régression pas terrible (FIG.II, droite bleue, coefficient de corrélation de 0,46) que la consommation mondiale de pétrole va s’accroître de près de 2% entre 2010 et 2009 soit de 1,4 million de barils/jour.

PIB-change-Oil-use-change-Sieminski-2010

Un examen attentif des divers points de cette courbe montre que les points correspondant à 2006, 2007, 2008 et 2009 sont beaucoup mieux alignés sur une droite rouge beaucoup moins pentue. Les consommations mondiales de pétrole ont été ces dernières années beaucoup moins sensibles aux variations du PIB, conséquence de tous les efforts dirigés vers la recherche d’une meilleure efficacité énergétique des processus. En utilisant cette droite actualisée il est possible d’en déduire que la croissance des consommations de pétrole sera en 2010 d’environ la moitié de celle initialement prévue. En d’autres termes les prévisions de l’OPEC qui annoncent une croissance des consommations de 0,8 à 0,9 million de barils entre 2009 et 2010, sont beaucoup plus proches de cette deuxième façon d’extrapoler.

Il est possible de constater ainsi que de vouloir prédire des variations de consommations de façon globale à partir d’indicateurs globaux ne peut conduire qu’à des valeurs très approximatives. Alors disons aujourd’hui que des variations 1 à 1,2 million de barils pour les pays NON-OCDE et de – 0,4 million pour les pays OCDE conduiraient à une croissance des consommations mondiales de 0,6 à 0,8 million de barils/jour, compatible avec l’évolution des prix du pétrole à la hausse et une conjoncture économique mondiale plombée par une Europe malade.

CONSULTER la très intéressante présentation de Sieminski.

VOIR la présentation de Mary Novak.

Le 11 Avril 2010

Commentaires

7 réponses à “Fragilité des prévisions d’évolution de consommations de pétrole sur la base de la progression du PIB mondial”

  1. Avatar de Harold
    Harold

    Monsieur Bonaterre, pourriez-vous nous dire si oui ou non,d’après vous, on s’achemine vers une grave crise pétrolière entre 2012 et 2015, un troisième choc pétrolier, comme certains rapports — officiels — de l’agence américaine de l’Energie et du Pentagone l’avancent?
    1) http://contreinfo.info/article.php3?id_article=3017
    2)http://petrole.blog.lemonde.fr/2010/03/23/washington-envisage-un-declin-de-la-production-de-petrole-mondiale-a-partir-de-2011/

  2. Avatar de René Grau

    Un grand merci cher Raymond pour la publication de cette étude. Je pense que la prévision de Sieminski doit cependant être proche de la réalité attendue en 2010: en effet, en sortie de crise les consommations connaissent un sursaut – elles se situent donc au dessus de leur régression proche ( sursaut en 1984, 1988, 1991, 2004). Pour la suite, les consommations vont rejoindre effectivement la régression que vous avez tracée en rouge.
    RG.

  3. Avatar de I.Lucas
    I.Lucas

    Merci beaucoup pour cette étude. En ce qui concerne la prévision de Sieminski, on voit que les points les plus éloignés de la droite de régression sont ceux des années où le prix du pétrole était élevé soit donc 1980, 81, 82, 83, 84, 85 ; puis 2005,2006,2007 et 2008
    Cela suggère que l’analyse de corrélation serait améliorée s’il avait introduit le prix du pétrole.
    Pour l’avenir, sait on dans quel sens va jouer l’élasticité ainsi calculée?
    Si le prix du pétrole ne peut monter à des niveaux trop élevés et si l’élasticité à la croissance mondiale est celle de la droite de régression (ce qui signifie que des pays comme la Chine ou l’Inde suivent une trajectoire voisine de celle que nous avons suivi, avec un différé dans le temps et que le progrès technique ne s’accélère pas)
    alors c’est la croissance mondiale qui va s’ajuster à celle de la production de pétrole, c’est à dire ralentir??

  4. Avatar de ray
    ray

    Harold, des tensions sur les cours du pétrole il y en a eu et il y en aura d’autres. Mais ce qu’il faut comprendre c’est qu’un vaste mouvement de désensibilisation de l’économie mondiale aux cours du pétrole est en marche au travers de l’amélioration de l’efficacité énergétique des processus (raffineries plus performantes et produisant avec un baril de brut de plus en plus de carburants, moteurs à rendements accrus, voitures hybrides, etc.) et de la substituabilité des produits pétroliers par d’autres sources d’énergie (biocarburants, véhicule électrique, moteur diesel au mélange gaz naturel + gasoil de Volvo trucks, bus à gaz naturel comprimé). Il se déroule donc une course entre baisse des consommations de pétrole par unité de PIB, croissance de la richesse mondiale (y compris la croissance de la population) et cours du pétrole et autres ressources d’énergie. Bien entendu il existe des rétroactions entre ces trois paramètres majeurs. Nous avons assisté ces deux dernières années au formidable impact de l’envolée des cours de l’énergie sur l’arrêt de la croissance et sur la chute accélérée des consommations de pétrole par unité de PIB.
    Ces coups de boutoirs successifs vont faire perdre peu à peu au pétrole sa primauté dans le mix énergétique mondial au profit du gaz naturel beaucoup plus abondant et trois fois moins cher.
    C’est à mon avis la raison majeure qui rend ridicules les angoisses peakoiliennes qui raisonnent à technologie constante.
    Un exemple: le gouvernement japonais veut mettre en place les conditions économiques et industrielles pour qu’en 2020 plus de la moitié des véhicules produits au Japon fassent appel à de nouvelles technologies (hybrides, EV, plug-in hybrides)…et 2020 c’est demain dans l’industrie.
    La croissance mondiale dépendra de moins en moins des productions de pétrole. Elle s’appuiera sur un mix énergétique (gaz naturel, pétrole, charbon, nucléaire, renouvelables) dont les proportions relatives des diverses variables dépendra des cours de chacune d’entre elles et de l’évolution des technologies vers plus de flexibilité.
    Un symbole trivial: les nouvelles pompes à essence flex fuel aux Etats-Unis qui permettent de décider au client de la teneur en éthanol du carburant qu’il va acheter entre E10 et E85.
    Demain le camionneur fera le plein de gaz naturel liquide et de gasoil pour son camion hybride et allégé qui ne consommera que 20 litres équivalents aux cent km, dont 5 ou 6 litres de gasoil.
    La compréhension des tensions à venir sur une source primaire d’énergie comme le pétrole, doit être analysée dans le cadre de l’évolution de l’ensemble des ressources énergétiques possibles et de l’évolution prévisibles des technologies. Bien des analyses apocalyptiques se caractérisent par une analyse incomplète et rigide du problème posé.
    L’humanité vivra mieux demain en consommant deux fois moins de pétrole et elle vivra encore mieux après-demain en en consommant dix fois moins. C’est pour moi une évidence qui repose sur l’inventivité des hommes et la maîtrise croissante de technologies complexes.
    Savoir transformer directement, grâce à un module photovoltaïque, 20% ou 40% de l’énergie solaire en électricité est exemplaire de ce génie technologique humain.

  5. Avatar de René Grau

    Cette désensibilisation de l’économie à la conso d’huile se mesure grâce aux données supra.
    Si on régresse sur les années 80, on obtient un bêta de 2.3 càd qu’1% de GDP-R en sus augmente la conso de 2.3%.
    Pour les 30 années qui vont de 1980 à 2009, la régression de Sieminski donne un bêta de 0.90 soit une augmentation de 0.9 % de conso pour 1% de GDP-R en sus.
    En régressant sur les dernières années, Raymond trouve 0.6.
    Si on extrapole, on trouve un bêta voisin de 0.3 vers 2025: à cette date , toute augmentation supplémentaire de 1% du GDP-R ne se traduira que par 0.3% d’augmentation de la conso mondiale d’huile.
    On a donc bien une lente désensibilisation de l’économie mondiale au pétrole.
    RG.

  6. Avatar de rou
    rou

    Cela va vous faire mal Ray quand vous vous rendrez compte de votre erreur je pense…

  7. Avatar de Ray
    Ray

    rou, ce qui me fait rêver c’est la propension du citoyen américain à gaspiller dès que la situation économique va un peu mieux. C’est un paramètre du premier ordre que j’ai sous-estimé ou oublié.
    De là à penser que ça me fait mal…il y a un saut quantitatif exagéré.

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