L’Europe doit se doter de politiques énergétique et environnementale cohérentes

Carbon-footprint   De façon très pertinente et opportune, à quelques semaines du sommet de Copenhague, Christophe de Margerie, le patron de Total a rappelé en termes fleuris, comme il en a coutume, à nos dirigeants européens cette évidence qu’il était illusoire de vouloir bâtir une politique environnementale sans avoir, au préalable ou en parallèle, échafaudé une politique énergétique (LIRE des extraits du FT). Les deux domaines se recoupent largement et dans cette partie commune, pour des actions menées, seules les unités changent: les MWh ou les TEP d’un côté, les millions de tonnes de CO2 de l’autre. Alors, me direz-vous, pourquoi cette politique si importante est-elle si mal traitée dans le cadre des institutions européennes? Souci d’indépendance nationale, choix divergents sur le nucléaire, alliance germanique baroque avec la Russie, concurrence industrielle entre grands Groupes européens, manque de courage et de compétences de la Commission, choix idéologiques opposant libéraux et colbertistes, il y a sûrement un peu de tout cela pour expliquer la brume énergétique européenne dans laquelle nous sommes. Mais toutes ces raisons pourraient être promptement balayées par une volonté politique de mise en cohérence qui, pour l’instant, n’existe pas. Alors, il est possible de rêver qu’à l’occasion du changement de coalition politique allemand, par la difficulté des discussions environnementales à venir et par souci de tracer des perspectives claires aux industriels européens, une volonté politique de mise en cohérence de l’énergie et de l’environnement arrive à émerger en Europe. Mais quels devraient être les grands axes de cette politique?

1- L’identification des besoins énergétiques quantitatifs et qualitatifs dans les décennies à venir:

C’est un point très important pour éviter les contre-sens. Jusque là nous n’avons vu que des courbes stupides représentant des besoins en énergie continument croissants avec le temps. Le CERA vient à peine d’avouer dans une note que les besoins en énergie des pays membres de l’OCDE étaient passés par un maximum en 2005. Or sans être un grand devin, il est possible d’anticiper une baisse globale de la demande en énergie en Europe. Les paramètres déterminants sont les suivants:

– La baisse de la population active et son corollaire le vieillissement : l’United Nation Population Division prévoit que la population active de l’Europe géographique (hors Russie et Ukraine) baissera de plus de 16% d’ici à 2050. Ceci représente 60 millions d’actifs en moins.

-La pression environnementale va orienter l’offre produit vers plus d’efficacité énergétique. La bataille marketing est lancée dans le transport routier avec les voitures hybrides et électriques. Elle va se poursuivre dans l’aéronautique, le transport maritime, le rail, les poids lourds. L’offre commerciale dans l’immobilier de façon contrainte ou spontanée va aller dans la même direction.

-Les normes, taxes et règlements vont orienter les industries et les commerces vers plus d’efficacité énergétique. Les raffineries de pétrole excédentaires seront fermées.

-Qualitativement il faudra tenir compte de la substituabilité des formes d’énergies avec la montée en puissance de l’électricité dans le transport terrestre (EV) et dans la régulation thermique des habitations équipées de modules photovoltaïques, dans un climat globalement plus chaud.

 C’est bien parce qu’existe une pression environnementale que la consommation d’énergie va baisser en Europe. Les courbes de TEP consommées et d’émissions de CO2 doivent être cohérentes.

2- Réaliser les choix énergétiques majeurs:

 La volonté de réduire les émissions de GHG obligera l’Europe à définir des teneurs maximales de CO2 décroissantes au cours du temps par MWh d’électricité commercialisé. Une telle obligation entraînera un chamboulement complet des approvisionnements et des échanges de courant électrique. Elle impliquera comme aux Etats-Unis une séparation claire entre producteurs et distributeurs d’énergie électrique.

– La disparition des centrales électriques au charbon non équipées de CCS est inévitable. En effet les producteurs auront de plus en plus de mal à vendre leur courant pollué. Les centrales les plus vieilles et les plus polluantes devront être définitivement stoppées.

-L’approvisionnement en gaz naturel de l’Europe devra être complètement repensé. Il repose aujourd’hui essentiellement sur des contrats à long terme avec Gazprom, Sonatrach ou StatoilHydro, à des prix indexés sur les cours du pétrole, avec des clauses de « take-or-pay » qui obligent les clients comme Gaz de France à acheter un volume minimum fixé de gaz naturel quel que soit son prix. Or il existe maintenant un marché spot pour le gaz de la Mer du Nord ou pour les chargements de GNL des méthaniers. Les marchés du pétrole et du gaz devenant complètement décorrélés, ces contrats doivent être rediscutés sinon dénoncés par les pays européens. Malgré ces clauses, Gazprom éprouve beaucoup de mal à écouler son gaz hors de prix. L’Europe largement ouverte sur les mers doit favoriser l’arrivée des chargements de GNL sur son territoire.

-L’extension de la ressource nucléaire doit être quantifié et planifié sur la base du volontariat de chacune des Nations. La France, la Belgique, la Grande-Bretagne, la Suède, la Finlande plus tard l’Italie veulent maintenir et développer leurs parcs de centrales. Si d’autres ne le désirent pas il faudra qu’ils expliquent leurs solutions pour atteindre leurs objectifs d’émissions de GHG.

-Le maillage énergétique de l’Europe (réseau électrique, gaz) devra être accéléré.

Les actions destinées à mettre en musique ces grands choix devront être planifiées et financées. Certaines ne devraient pas poser de problèmes en raison de leur rentabilité, d’autres devront être financées en tout ou partie par les taxes, ou toute autre caution, portant sur les rejets de GHG.

3- Identifier les grands problèmes techniques et mettre en place des politiques incitatives:

– Le premier grand problème est le stockage de l’énergie sur lequel l’Europe pourrait devenir un des champions mondiaux. Les batteries de traction embarquées font l’objet de nombreux travaux de la part de l’industrie automobile et de ses fournisseurs de batteries. Là n’est pas le problème majeur, il réside en fait, dans le manque de batteries fixes de plusieurs dizaines de kWh ou de MWh qui devraient servir en tampon des sources renouvelables d’électricité soit au domicile de l’utilisateur soit à la source éolienne ou photovoltaïque centralisée. Le développement des énergies renouvelables nécessite de savoir amortir les fluctuations inévitables de ces ressources. Parmi les possibles candidats les batteries Sodium-Soufre faisant appel à des matériaux abondants et peu onéreux devraient être activement testées. D’autres voies thermiques, chimiques, hydrauliques restent à explorer.

-Un programme de développement et de validation de réacteurs nucléaires rapides est attendu pour résoudre les problèmes d’approvisionnement en matière fissile. Le problème des déchets pourrait être traité en parallèle. Compte tenu de la lourdeur des programmes, ces sujets pourraient être abordés avec des partenaires japonais comme MHI.

-Le développement et la validation industrielle de systèmes photovoltaïques décentralisés en relation avec un réseau « smart » est également une des clés de la maîtrise des émissions de GHG par les habitations.

 Dans la mise en place globale d’une politique énergétique et environnementale européenne le point clé repose sur la qualité du dialogue entre les administrations et les industries concernées. Cette politique ne pourra pas se faire contre les industriels. Il faudra que la Puissance Publique fixe les règles du jeu et que les Industries les appliquent de façon rentable. Ceci nécessite un formidable dialogue préalable. Ce qui se fait dans le domaine en Californie est peut-être un modèle possible.

Le 25 Octobre 2009.

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