Le gaz naturel de par son abondance et de son énergie par tonne émise de CO2 devrait s’imposer comme première source d’énergie primaire

Il a été illustré ici, de façon très simple, à partir des données de base de la thermodynamique, qu’une centrale au gaz à cycle combiné moderne, avec un rendement énergétique de 60%, émet trois fois moins de CO2 qu’une centrale au charbon pulvérulent actuelle ayant un rendement de 40% (LIRE). Ce résultat connu de tous les énergéticiens du monde provient deux données fondamentales:

1) la combustion du méthane produit deux fois plus d’énergie que la combustion du carbone par tonne de CO2 produite (5,07 MWh pour le CH4 par rapport à 2,48 MWh pour le Carbone).

2) la combustion du gaz naturel permet d’atteindre des températures très élevées, allant jusqu’à 1600°C à ce jour (LIRE), au sein de la chambre de combustion des turbines à gaz à hauts rendements, couplées à des génératrices à vapeur alimentées par les gaz de combustion de la turbine. Les ensembles modernes à cycle combiné annoncés par les Siemens, les Alstom et autres Mitubishi Heavy atteignent ou dépassent les 60% de rendement. Un des points technologiques clés est de disposer de pièces mécaniques sophistiquées, en matériaux modernes suffisamment réfractaires, pour tenir le choc mécaniquement dans les chambres de combustion des turbines. Des progrès sont encore attendus dans la température extrême des turbines avec un objectif de 1700°C pour les japonais, mais également dans les génératrices à vapeur associées comme le montre un récent accord entre GE et MHI dans le domaine (LIRE).

Liquefaction-offshore 

Ces deux paramètres font qu’il est possible à ce jour, de générer un MWh électrique en émettant 330 kg de CO2 avec du gaz naturel alors qu’il faut en émettre une tonne avec du charbon pulvérulent de très bonne qualité. Bien sûr l’utilisation de lignite de basse qualité énergétique aggrave encore plus le score aux dépens du combustible solide. Ajoutons en prime, à l’avantage du gaz naturel que sa combustion, contrairement à celles de diverses houilles et lignites permet de s’affranchir de rejets toxiques dans l’air et de cendres polluantes dans la nature.

Un tel score sans appel suppose que l’extraction du gaz naturel se fait elle même sans rejet du CO2 avec lequel il est naturellement mélangé dans les champs gaziers. Cela suppose que l’unité de purification du gaz comme à Sleipner ou à Snövhit est équipée d’une unité de capture et de séquestration du dioxyde de carbone. Sinon il faut ajouter le CO2 associé au méthane dans le bilan. Pour un mélange très riche en CO2 du style 50/50 molaire, ce sont 330 kg de CO2 par MWh qu’il faut rajouter aux rejets de combustion du gaz. Pour un mélange courant à 25% de doxyde de carbone et 75% de méthane c’est le tiers, ou 110 kg de CO2 par MWh qu’il faut rajouter au bilain, ce qui conduit à des rejets totaux de gaz carbonique de 440 kg par MWh électrique.

Quand aux rejets de méthane respectifs, il faudrait comparer les émissions de grisou lors de l’exploitation de la mine de charbon aux éventuelles fuites lors de l’extraction, de la purification et de l’acheminement du gaz naturel. Les méthaniers modernes reliquéfient à bord le gaz évaporé de leurs cuves.

Compte tenu de ces considérations il apparaît que de remplacer les vielles centrales au charbon ou au lignite par des centrales au gaz modernes est une méthode qui permet de diviser par 2,5 ou plus les émissions de CO2 dans la nature pour une quantité d’électricité produite.

L’équation environnementale est donc très favorable au gaz naturel, mais jusque là l’équation économique était largement favorable à la filière charbon. Ce qui explique la primauté actuelle du charbon dans la génération d’électricité, mais cette situation n’est à mon avis que provisoire.

En effet, un certain nombre d’éléments devraient faire rapidement décroître l’usage du charbon, tout au moins et dans un premier temps, dans les pays de l’OCDE.

Il y a tout d’abord tout ce qui est des domaines règlementaires ou des pénalités financières. Les droits d’émissions de CO2, les obligations de réduire la teneur en CO2 par MWh d’électricité distribuée, le non octroi des autorisations administratives nécessaires, sous la pression de l’opinion publique, sont des moteurs puissants de dissuasion d’installation de nouvelles unités.

Mais la vraie question est de faire peu à peu disparaître les centrales au charbon des pays membre de l’OCDE, pour ensuite s’attaquer aux centrales chinoises et indiennes. C’est la seule méthode qui permettra de réduire significativement les émissions mondiales de CO2 qui sont à 40% originaires de la combustion de lignite ou de charbon. Les rêves éveillés de Tanaka, de l’Agence Internationale de l’Energie, qui veut équiper en CCS 850 centrales en 2030 pour capturer et séquestrer 2,5 milliards de tonnes de CO2, ne doivent pas être pris au sérieux (LIRE et voir la dernière slide). Si le dixième de cet objectif était atteint à cette date ce serait déjà bien.

Le point de basculement économique pour un gaz naturel à 7$/MMBTU ou 24$ par MWh thermique, se situe aux environs d’un prix du charbon de 150$ la tonne ou 18$ par MWh thermique. En Europe le prix du charbon sud-africain livré dans les ports européens doit être aux environs de 100$ la tonne. Une taxe carbone de 50$ par tonne de charbon sous une forme ou une autre, fera basculer l’équation économique au profit du gaz. Aux Etats-Unis les prix du charbon étant très bas, seuls des prix très bas du gaz naturel pourraient permettre de déstabiliser le charbon. Il faudrait que les cours du gaz naturel ne dépassent pas les 5$ le MMBTU ou 17$ le MWh pour que le gaz devienne compétitif face à un charbon qui reviendrait taxes comprises à 100$ la tonne.

Gondwana3

 La troisième condition est la disponibilité du gaz naturel. Les réserves de gaz dans le monde sont immenses et régulièrement révisées à la hausse au gré des découvertes  au coeur des continents ou sur les marges des blocs de l’ancien Gondwana (gaz de l’arctique, schistes bitumineux américains, carbon bed, gisements offshores australiens, rives sud atlantiques). Alors que le charbon est difficilement transportable et donc faisant l’objet de peu d’échanges internationaux (LIRE), le gaz naturel s’achemine aisément soit par gazoduc quand un réseau existe, soit sous forme liquéfiée par méthanier pour le transport maritime. Les grands pétroliers et les grands gaziers internationaux veulent réduire leurs investissements pour pouvoir exploiter de façon rentable les gisements offshores de plus en plus profonds et éloignés de la terre ferme. Pour éviter d’avoir à construire des gazoducs onéreux, ils imaginent de développer d’immenses usines de liquéfaction en pleine mer (LIRE).

Bloomberg nous apprend, à partir d’une interview d’un responsable de Technip, que Shell serait sur le point de commander trois immenses usines offshores de liquéfaction de gaz naturel au consortium Technip-Samsung Heavy Industries (FIG.I). La première de ces unités offshores, où viendraient accoster les méthaniers les plus gros du moment, devrait être installée d’ici 4 à 5 ans au large des côtes nord-ouest de l’Australie. De telles usines flottantes capables de liquéfier 3 millions de tonnes de gaz par an pourraient être installées par la suite au large des côtes de l’Afrique de l’Ouest ou du Brésil.

Des développements de ce type, sont de nature à faire du gaz naturel la première ressource mondiale d’énergie primaire d’ici à une ou deux décennies. Un large marché spot à partir de méthaniers chargés de GNL est appelé à se développer, reléguant les ressources russes à leur juste rang de numéro deux ou trois mondial. L’ouverture maritime de l’Europe doit lui permettre de faire du gaz naturel sa principale ressource énergétique pour le plus grand bien des émissions des gaz de combustion des centrales électriques à flamme encore trop largement alimentées au lignite ou au charbon. Les immenses ressources de gaz américaines qui ont propulsé les Etats-Unis au premier rang des producteurs mondiaux de gaz naturel, vont pousser les Etats de ce pays à utiliser d’avantage le gaz dans la génération d’électricité et ceci en complément des ressources renouvelables. L’option dite « clean coal » ne permet pas d’atteindre des niveaux de rejets de gaz carbonique adéquats, elle manque de flexibilité et nécessite des investissements de gazéification du charbon très élevés et polluants.

Par la suite il faudra convaincre l’Inde et la Chine qu’elles ont fait le mauvais choix avec leurs investissements massifs dans centrales au charbon. Ce sera beaucoup plus complexe à gérer. Rappelons pour l’anecdote, que l’Inde qui possède les cinquièmes réserves mondiales de charbon, mais qui est incapable de le transporter sur son vaste territoire, construit ses centrales électriques dans les ports pour les alimenter à partir de charbon importé.

LIRE le communiqué de l’Agence Bloomberg

Le 21 Octobre 2009

Commentaires

7 réponses à “Le gaz naturel de par son abondance et de son énergie par tonne émise de CO2 devrait s’imposer comme première source d’énergie primaire”

  1. Avatar de Harold
    Harold

    Il n’empêche: le prix du gaz est corrélé à celui du pétrole par des accords internationaux. Il risque donc fort de monter, ce qui, à terme, risque de nous condamner à la stagnation économique. Tous les 3 ans, une nouvelle flambée spéculative des combustibles fera replonger la croissance et donc la demande…et ainsi de suite… Mais effectivement, comme vous le soulignez, si le progrès technique continue dans les énergies renouvelables, il en va de même pour les énergies fossiles.
    Un autre exemple, qu’on évoque trop peu, ce sont les incroyables gains de performance des moteurs des voitures (annulés néanmoins par la prise de poids tout aussi énorme des véhicules). Trois-quart de l’énergie produite dans le véhicule consumée en pure perte en chaleur, ça laisse de la marge!! donc:
    1) un pétrole au prix soutenable à 80 dollars produit avec les sables bitumineux de la nouvelle arabie Saoudite ontarienne, si pas les schistes bitumineux ou la conversion du charbon en pétrole via crackage
    +
    2)des véhicules légers en plastique avec des moteurs peu puissants mais ultra-sophistiqué pour des rendements énormes (combustion à haute température, exploitation des gaz d’échappement, gestion électronique fine, réutilisation de l’énergie du freinage et « Plug and start » via un hybrid léger)
    =
    des dizaines d’années en perspectives d’économie fossile.
    L’écart avec les véhicules électriques ne se réduit pas… Et cela fait en outre une éternité qu’on maîtrise la construction de moteurs de voitures au gaz naturel liquéfié.
    Mais faut-il vraiment s’en réjouir?

  2. Avatar de ray
    ray

    Harold les prix du gaz naturel ne sont pas du tout corrélés à ceux du pétrole aux Etats-Unis, sinon par la spéculation qui parfois fait monter ou descendre les deux à la fois. Le gaz de la mer du Nord coté au National Balance Point est lui aussi coté régulièrement et n’est pas lié aux cours du pétrole. En France GDF achète du gaz naturel russe ou algérien avec des clauses d’indexation au cours du pétrole. La montée en puissance d’un marché spot du GNL rendra caduque ou beaucoup moins contraignantes de telles clauses qui reposent sur un marché de type oligopolistique. A partir du moment où le GNL deviendra majoritaire et livrable n’importe où, les cours de n’importe quel gaz deviendront détachés de toute indexation, comme n’importe quelle matière première. Personne n’interdit à GDF d’acheter du gaz au prix spot sur le marché du GNL.

  3. Avatar de karva
    karva

    Sur la comparaison gaz-charbon. Le rendement d’une centrale moderne au charbon est autour de 45%, et le gaz donne 60% dans le même temps. On compte qu’un MWh électrique au charbon émet 900Kg de CO2 (un peu plus si on émet du CO2 par pyrolise des carbonates présents dans le charbon) et le gaz autour de 380 Kg/MWh électrique. Le rapport est plutôt de 2.4 (ne pas oublier les besoins en énergie des transports et les pertes en ligne de ce gaz 30 fois plus efficace que le CO2 pour l’effet de serre).
    Wikipedia:
    « For an equivalent amount of heat, burning natural gas produces about 30% less carbon dioxide than burning petroleum and about 45% less than burning coal ».
    Si on prend ces chiffres et qu’on prend en compte la différence de rendement, on tombe sur un facteur autour de 2.4 en faveur du gaz: 3 me semble optimiste..
    Le prix du gaz est-il déconnecté du prix du pétrole? Oui et non. Aujourd’hui, sur le marché US, le pétrole est autour de 70-80 dollars, et nous avons d’excellentes raisons de penser (Alberta..) que c’est un prix correspondant à ses coûts de production pour les cinq ans à venir(???). Le gaz lui est descendu à 4$/GJ (aux US, pas en Europe!). En général, il faut le transporter et cela n’est pas marginal: autour de 2-3$, ce qui le met autour de 6$/Gj, et 40$ de gaz pour un MWh d’électricité en tenant compte des rendements..
    On peut le comparer au prix en charbon de la même électricité: une tonne de charbon produit 3MWh, et le charbon est autour de 80 $(?) la tonne. Comme ces centrales électriques au charbon sont plus chères que les centrales au gaz, on peut considérer ces prix comme équivalents…
    Pour le pétrole, celui-ci a des utilisations différentes, sauf pour le chauffage des maisons: le fuel est en ce moment autour de 50 Euros par 100 litres, soient 50Euros/MWh. Si le gaz (ici) revient autour de 7 Euros/GJ, cela ferait 25Euros/MWh. Je crois que le gaz est un peu plus cher (35 Euros/MWh, je dois vérifier ma facture)…Mais le gaz s’impose progressivement par rapport au fuel (bien que l’électricité joue là un rôle que les écolos et GDF regrettent…)
    En conclusion, je doute que le gaz, le pétrole et le charbon soient tout à fait déconnetés, sinon l’un l’emporterait outrageusement sur les autres. Reste qu’on dit qu’il y a beaucoup de gaz…On devrait ensuite comparer tout cela au nucléaire..

  4. Avatar de ray
    ray

    Karva, il m’étonnerait que les vieilles centrales au charbon ou au lignite européennes atteignent du 45% de rendement. Mais ce sont elles qui réellement crachent des milliards de tonnes de CO2. Un facteur trois me semble donc tout à fait raisonnable.
    Quand aux prix du gaz et du pétrole depuis la fin de la dernière folie spéculative, c’est à dire depuis le début de cette année, ils sont complètement décorrélés, ce qui ne veut pas dire que l’un et l’autre n’aient pas leurs fluctuations propres au gré des humeurs spéculatives.
    Quand au prix du pétrole déterminé par le prix marginal de revient des sables bitumineux de l’Alberta, c’est une histoire à faire marrer tous les traders de Wall Street et de Londres réunis en Congrés.

  5. Avatar de karva
    karva

    Sur les rendements:
    je compare ce qui est comparable: centrales récentes au charbon contre centrales récentes au gaz. Je vous rappelle que les premières centrales au gaz, sans cycle hybride, étaient autour de 35% de rendement…
    On a pas mal progressé: par exemple, les centrales RDA avec un rendement moyen de 27% ont été toutes remplacées..Je maintiens mon coefficient de 2.4 entre le charbon et le gaz. Ca reste pas mal, surtout qu’avec un peu de recul, on sait qu’on a beaucoup de gaz.
    Reste qu’il va devenir très difficile de construire des centrales au charbon en Europe de l’Ouset: les écolos se sont enfin rendu compte qu’en se polarisant sur le nucléaire, ils étaient en train de se faire avoir…Ils privilégient beaucoup le gaz (voir par exemple Benjamin Dessus..).

  6. Avatar de Escaravage
    Escaravage

    Je retiens de cet article le passage suivant:
    « Les rêves éveillés de Tanaka, de l’Agence Internationale de l’Energie, qui veut équiper en CCS 850 centrales en 2030 pour capturer et séquestrer 2,5 milliards de tonnes de CO2, ne doivent pas être pris au sérieux ».
    Cependant le lobby du « charbon propre » veut nous y faire croire et cherche à promouvoir l’ »usine à gaz » de la CCS.
    Conscient que ses campagnes « antiwarming » ont fait long feu, il opère une conversion à 180°. Derrière l’urgence climatique qu’il proclame désormais, se cache en fait l’urgence de s’emparer de l’aubaine financière que constitue la CCS. Pour faire plébisciter cette technologie dont les tares ont pu être décrites par la formule « trop risquée, trop chère, trop peu , trop tard », une nouvelle campagne de désinformation est engagée. La dissimulation des risques majeurs de fuites hors des aquifères profonds est systématique. Les spécialistes du lobbying ont beau jeu d’abuser de décideurs qui multiplient publiquement les preuves des consternantes lacunes de leur culture technoscientifique. Ainsi sont différées les mesures urgentes d’économies énergétiques et confisquées les ressources qui devraient s’investir dans les véritables énergies propres.

  7. Avatar de ray
    ray

    Escaravage, il y a un Juge de Paix dans tout cela, ce sont les millions de tonnes de CO2 larguées dans l’azur par les producteurs d’électricité. Il va bien falloir arriver un jour en Europe à leur fixer des objectifs de taux de CO2 par MWh vendu en forte décroissance. Ce sont eux alors qui feront les choix les plus pertinents et les plus économiquement rentables. Certains fermeront leurs centrales au lignite, d’autres lanceront des centrales au gaz à cycle combiné, certains s’engageront plus à fond dans le nucléaire. Mais pour quelques décennies encore l’éolien, le solaire et le CCS occuperont une place marginale qui ne dispense pas de l’expérimentation, de l’optimisation.
    Personnellement je vois gagnant le photovoltaïque en raison de la possibilité de décentraliser la production au niveau du foyer, de l’immeuble, du centre commercial. En raison de son indispensable présence dans tout réseau « smart ». Enfin, en raison de l’absence de toute pollution. La séparation des fonctions de grand producteur d’électricité et de distributeur permettra d’établir cette concurrence entre production centralisée performante et production décentralisée qui devra mobiliser son énergie aux heures de pointes et soulager ainsi le réseau.

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