Au gré des lectures d'ouvrages récents ou des écoutes de conversations entre économistes de mon pays, je suis de plus en plus choqué par le profond malthusianisme qui envahit les esprits. Pour illustrer mon propos je vous cite un passage des réflexions d'un jeune et brillant économiste, Nicolas Bouzou, pioché dans son dernier bouquin écrit avec Luc Ferry sur "La politique de la jeunesse" (Odile Jacob). Je cite: "La jeunesse des pays développés fait face à une contrainte qui ne s'exerçait pas sur ses aînées: la finitude du monde. La très forte croissance économique dans les pays émergents génère une demande de matières premières supérieure à l'offre aisément disponible et des émissions de CO2 toujours plus importantes. La jeune génération va devoir répondre à des problèmes de rareté croissants que l'on retrouve dans la montée des prix des ressources naturelles: rareté des ressources fossiles, rareté de l'eau potable, rareté de l'air pur… L'humanité connaît finalement un processus assez proche de celui du passage du néolithique au paléolithique, où il avait fallu "inventer" l'agriculture pour pallier la disparition du gros gibier."
Chacun a bien-sûr un point de vue sur ces affirmations et il serait ridicule qu'à mon tour je commente ce texte avec de mièvres illustrations. Mais je voudrais cependant souligner certaines contradictions ou imprécisions évidentes de ce passage qui doit obtenir à coup sûr 99% d'assentiments auprès de nos jeunes contemporains.
La première contradiction réside dans le fait que ce sentiment de "finitude du monde" ne soit une évidence que pour la jeunesse des pays développés et non pour celle des pays émergents. Y-aurait-il deux mondes celui des vieux riches qui va finir et celui des nouveaux riches qui démarre en fanfare? Il semblerait…mais alors quel est le bon?
La deuxième remarque porte sur le concept fumeux de "finitude du monde" …la fin d'un hypothétique paradis qui n'a jamais existé? L'extinction progressive et inexorable de l'espèce humaine dans un processus à la "Mad Max"?
La troisième remarque porte sur l'immanquable et insupportable mix qui associe "rareté des matières premières" et "accroissement des émissions de CO2". L'un ne va pas sans l'autre, sorte de Charybde et Scylla idéologiques…et pourtant ce sont deux paramètres aux effets totalement distincts. L'un agit sur les prix, élargit l'offre et limite la demande. L'autre est tenu pour agir sur le climat et les experts se chamaillent comme chiffonniers pour préciser l'amplitude de cette action…qui finalement pourrait être aussi bien négative que positive pour l'économie du monde. Alors que sur le premier paramètre la théorie économique peut apporter des connaissances pertinentes comme la loi des rendements décroissants et les phénomènes de substitution, sur le second, effets des GHG, je ne vois pas ce qu'un économiste peut sérieusement prédire sans avoir la connaissance à peu près exacte des effets attendus…sinon d’échafauder d'hypothétiques scénarios branquignolesques pour obtenir un prix Nobel ou équivalent et être anobli par la Reine.
La quatrième remarque porte sur l'évidente "rareté des ressources fossiles" qui arrivera bien un jour si l'espèce humaine persiste en abondance…c'est une évidence. Mais en économie se tromper de timing peut être destructeur. Non les ressources fossiles sont encore abondantes sur terre et pour de nombreuses décennies. Un économiste doit considérer le stock global de ces ressources en prenant en compte des processus de substitutions compétitives qui agissent sans cesse sur la demande de l'une ou l'autre de ces ressources au profit ou aux dépens d'une autre. Un exemple: le gaz naturel abondant est en train de supplanter le charbon aux États-Unis, c'était imprévisible 5 ans auparavant et ce phénomène change bien des données économiques de ce grand pays gaspilleur. Phénomène inverse, les velléités d'abandon du nucléaire par l'Allemagne plongent l'Europe de l'énergie dans un grand embarras. Quand au pétrole, les consommations mondiales cumulées à ce jour, depuis le XIXème siècle, autour des 1280 milliards de barils représentent le quart des ressources ultimes estimées à ce jour (5000 milliards de barils récupérables) par les professionnels. Ces ressources encore enfouies et de puissants investissements financés par les prix attractifs du pétrole permettront, bon an, mal an, d'extraire autour des 28 milliards de barils annuels consommés à ce jour dans le monde, pendant de longues décennies. Les prix et les progrès technologiques feront peu à peu baisser ces consommations au profit des biocarburants, de l'électricité ou du gaz naturel liquéfié qui alimentera les poids lourds, les trains et les navires. Le concept de pic pétrolier n'a aucun sens dans un mix énergétique en perpétuelles adaptations, au gré des ressources énergétiques locales disponibles et de la demande orientée par les prix.
Enfin pour l'eau potable et l'air pur c'est aux hommes de plus en plus exigeants sur leur cadre de vie de se prendre localement en main et de réduire les pollutions autour d'eux….les technologies existent et la santé des populations à un coût. Les réserves d'eau et d'air sont globalement inépuisables ce qui change profondément l'équation.
Assez paradoxalement, les hommes bien souvent trop nourris, ont plus à craindre aujourd'hui de la multiplication des cas de diabète de type II que d'une pénurie des ressources énergétiques qui les conduirait à disparaitre. (LIRE). ACCEDER à la terrifiante carte mondiale de prévalence du diabète projetée pour 2030 et qui devrait toucher plus de 550 millions d'individus dans le monde (dont Chine: 130M, Inde: 101M, USA: 30M, Brésil: 20M, Bangladesh: 17M) .
De toutes façons, depuis le paléolithique l'homme n'a cessé d'inventer des solutions nouvelles pour assurer son bien-être et celui des siens. Je ne vois pas pourquoi ce phénomène profondément humain cesserait subitement au cours de la première moitié du XXIème siècle de notre ère…même si l'idéologie écologique précautionneuse en vogue affirme le contraire.
Le 23 Mai 2012