Préparer la Famine…

Jacquerie2 « Octobre 2008 : un mois de gros temps

Le mois d’octobre 2008 n’aura pas modifié la donne de la crise. Quelques signes positifs, telle une maigre reprise de l’immobilier résidentiel américain due au prix défiant toute concurrence des logements saisis et remis sur le marché, ou une baisse relative des taux interbancaires (encore très loin cependant de leur niveau de la première moitié du mois de septembre), ne seront pas parvenus à compenser les indices qui signalaient au contraire une aggravation de la situation, en Europe d’abord, où l’Islande et la Hongrie en particulier se retrouvèrent au sein de la tourmente, et en Asie où les yeux se tournèrent vers le Pakistan faisant face à une crise de solvabilité majeure.

 Le plan Paulson de 700 milliards de dollars fut voté par les représentants du peuple américain : le 1er octobre par le Sénat, et le 3 par le Congrès, après qu’ait été ajoutée au texte de la loi une série affligeante de mesures visant à satisfaire les intérêts particuliers des parlementaires les plus hésitants. Après quelques tergiversations, une formule fut mise au point, centrée sur une prise de participation significative de l’État fédéral dans les neuf principaux établissements financiers américains : à hauteur de 25 milliards pour Bank of America, J.P. Morgan Chase, Citigroup et Wells Fargo, et de 10 milliards de dollars pour Goldman Sachs et Morgan Stanley, investissement assorti d’un code de bonne conduite de la part des institutions renflouées : dividendes gelés, fonds avancés au taux de 5 % mais passant à 9 % si l’on tardait trop à les rembourser, rémunérations des patrons sous haute surveillance avec dés-incitation fiscale pour les entreprises de leur accorder davantage, la fin des parachutes dorés, enfin, des warrants permettant à l’Etat d’augmenter sa mise à l’avenir si nécessaire.

La plupart des pays emboitèrent le pas aux États–Unis, adoptant des mesures similaires. On observa tout au cours du mois qu’en matière de nationalisation du système financier, le pays qui frappait le plus vite et le plus fort déterminait le niveau sur lequel les autres étaient alors obligés de s’aligner : quand l’Irlande garantit tous les dépôts à vue, l’Angleterre dut suivre sous peine de voir toutes ses banques siphonnées aussitôt vers l’Irlande, mais pour ce faire elle fut forcée d’aller plus loin dans la nationalisation que n’importe qui d’autre, fixant automatiquement la nouvelle norme pour ceux qui ne voulaient pas être laissés pour compte dans le nouveau paysage de la compétitivité. Ce fut le cas des États–Unis qui appliquèrent le plan Paulson dans la perspective britannique de prise de participation dans les banques, pour l’Allemagne qui avait pourtant juré ses grands dieux la semaine précédente qu’il n’en serait rien, pour le Benelux, que le sauvetage de justesse des banques Fortis et Dexia avait déjà conduit sur cette voie, pour l’Espagne qui s’aligna sur la formule britannique, et bien entendu également pour la France qui créa elle aussi un fonds d’aide d’urgence à ses banques.

On put suivre le progrès de la prise de conscience du « tsunami » tout au long du mois : moins le système financier d’une nation était sophistiqué, plus l’éveil avait été retardé. L’ordre dans lequel cette prise de conscience avait lieu était bien sûr purement anecdotique. Dans les derniers jours du mois, c’était l’Europe Centrale tout entière qui s’éveillait à la crise. La Banque Centrale Européenne, le Fonds Monétaire International, la Banque Populaire de Chine, intervenaient à une très vaste échelle pour distribuer des fonds là où leur intervention se révélait la plus urgente.

Quand le premier ministre britannique, Mr. Gordon Brown, mit en œuvre son plan de nationalisation du secteur bancaire, une rumeur courut qu’il lui avait été soufflé par l’ancien président de la Federal Reserve, Alan Greenspan, pourtant autrefois chef d’une croisade en faveur du laisser-faire sur les marchés financiers. L’un des événements qui firent sensation au mois d’octobre, et qui marqua sans doute un tournant dans l’histoire de l’ultralibéralisme, fut la déposition d’Alan Greenspan devant une commission houleuse du Congrès américain qui le mit en accusation, l’interrompant à plusieurs reprises et avec brutalité. Désarçonné, celui-ci confessa les doutes qui l’assaillaient désormais quant à l’autorégulation des marchés financiers : « Oui, j’ai découvert une erreur », concéda celui qui avait été longtemps le chef de file du « libertarisme ». En cause essentiellement selon lui, une surprenante incapacité du milieu des affaires à poursuivre la recherche de son intérêt bien compris et qui aurait dû l’encourager à la modération et à se policer lui-même. Depuis le début de la crise en effet, la « main invisible » ne s’était manifestée à aucun moment et les effets de la cupidité individuelle s’étaient simplement additionnés. L’ancien président de la Fed avait eu le tort d’accorder une foi absolue à la science économique de son temps, celle qui avait été produite durant soixante années sous la houlette du monde financier lui-même. La confession d’Alan Greenspan faisait découvrir au monde consterné la naïveté de celui qui avait été à la tête de la finance internationale pendant prés de vingt ans (1987 – 2006). Les réactions de la presse trahissaient un frisson d’effroi rétrospectif.

Les sommes considérables injectées dans la recapitalisation des banques et dont le public avait eu initialement le sentiment qu’elles étaient davantage destinées à sauver les banquiers plutôt que la finance elles-mêmes, seront-elles bien utilisées ? On pouvait en douter à l’annonce des premières nouvelles relatives à l’usage qui en serait fait : les banques américaines annonçaient leur intention de transmettre une partie des milliards reçus en dividendes, d’en consacrer une autre partie à des augmentations de salaires, une autre encore à racheter leurs concurrentes moins chanceuses et qu’elles utilisaient une portion de l’argent reçu à faire du lobbying visant à l’annulation des mesures gouvernementales de semi-nationalisation.

Les bourses connurent durant ce mois d’octobre qui fut le plus chahuté de leur histoire, de grands mouvements désordonnés propres aux périodes de krach, où les intervenants déboussolés, ne sachant à quel saint se vouer, vendent en catastrophe un beau jour, pour se racheter avec enthousiasme dès le lendemain, les prix bradés de la veille constituant une aubaine à ne pas rater. Au 31 octobre, le CAC 40 avait perdu depuis le début de l’année, 37,9 %, et 13,6 % durant le seul mois d’octobre ; le Dow Jones, l’indice de la banque de New York, respectivement 29,7 % et 14 %, et le Nikkei japonais, 44 % et 23,8 %.

La volatilité extraordinaire des bourses et des marchés des matières premières se révéla sans pitié pour les intervenants les plus exposés. Sur les marchés à somme nulle comme les marchés à terme, où ce que l’un perd, l’autre gagne, le nombre des intervenants se réduisait, les grands mouvements en sens opposés balayant ceux qui commettaient des erreurs d’appréciation et qui se trouvaient du coup éliminés, tandis que les grosses fortunes se concentraient alors entre quelques mains. A la bourse, le marché baissait tant que les pertes globales compensaient l’effet de cette concentration, même pour les vainqueurs.

Les hedge funds, les fonds d’investissement spéculatifs continuèrent de liquider leurs positions pour répondre aux retraits de leurs clients. Il semblait en fin de mois qu’ils avaient survécu à ce qui aurait pu être pour eux une épreuve décisive : le débouclage le 21 octobre des Credit–Default Swaps (CDS) portant sur Lehman Brothers dont la banqueroute avait été déclarée le 15 septembre. Rien ne les obligeait cependant à révéler leurs difficultés avant la publication trimestrielle de leur bilan et l’ampleur du désastre apparaîtrait peut–être ultérieurement.

Les devises s’effondrèrent dans un bel ensemble en raison de la récession mondiale qui les engouffrait toutes. Les tensions entre elles étaient simplement dues au fait que certaines chutaient plus vite que d’autres. Mr. Sarkozy ayant pris très au sérieux la présidence française de l’Union Européenne, proposa avec panache, un nouveau Bretton Woods. Les pays asiatiques lui emboitèrent le pas. Une réunion au sommet consacrée aux monnaies avait en effet eu lieu en 1944 à Bretton Woods dans le New Hampshire, réunissant les grandes puissances de l’époque. Il y avait été décidé d’ancrer l’ensemble des devises au dollar, lié lui à l’or par une parité fixe ; l’accord deviendrait caduc en 1971 quand le président Nixon résilierait cette parité du dollar et de l’or, sans consultation préalables de ses partenaires.

On attendit vainement en octobre de nouvelles initiatives en faveur des bénéficiaires de prêts hypothécaires en difficulté. L’immobilier américain avait été à l’origine de la crise, celle-ci s’étant déclarée dans le secteur du prêt hypothécaire subprime qui avait alors entraîné la finance dans sa chute. Le moyen le plus sûr d’endiguer la catastrophe consistait donc à arrêter l’hémorragie de l’immobilier résidentiel américain. Ce qui s’opposait toutefois à un dépannage massif des emprunteurs était que le prix des logements n’avait pas encore atteint dans sa chute, son niveau historique moyen : il avait baissé d’environ 16 % depuis son pic et il lui restait la moitié du chemin à parcourir. L’Etat américain n’avait donc aucun intérêt à geler la situation à un niveau de prix qui demeurait encore spéculatif. Un plan de refinancement de l’ensemble des prêts hypothécaires par un organisme d’Etat – très similaire à la Home Owners Loan Corporation, instaurée en 1933 comme un élément-clé du New Deal rooseveltien – était probablement prêt à l’emploi mais on attendait pour l’activer que le prix de l’immobilier soit retombé à un niveau tel que l’accès à la propriété de son habitation redevienne un objectif réalisable pour les ménages. La mise en place d’un tel dispositif devrait être instantanée et bénéficier d’un effet de surprise, sans quoi certains emprunteurs tenteraient d’en tirer parti en interrompant le versement de leurs traites de manière anticipée. Pour que le prix de l’immobilier continue de baisser en fonction de l’offre et de la demande, il fallait que le marché du logement fonctionne selon les anciennes règles aussi longtemps que possible. S’ajoutait certainement à ceci le fait qu’un nouveau New Deal rooseveltien aurait bien davantage de crédibilité s’il était signé Barack Obama, voire même John McCain, que George W. Bush.

On apprenait enfin en octobre que la production mondiale de blé diminuerait d’environ 4,4 % en 2009 en raison du tarissement des crédits permettant l’achat d’engrais par les agriculteurs. Pour les plus petits fermiers et ceci à l’échelle mondiale, le crédit avait d’ailleurs cessé d’exister. On prévoyait qu’au Brésil, la récolte de maïs pourrait diminuer de 20 % pour cette même raison. Il était d’usage dans ce pays que les gros acheteurs américains avancent environ la moitié des fonds nécessaires à la nouvelle récolte, la future moisson servant de collatéral. Or, ils avaient cessé de le faire. En Russie le taux d’intérêt des crédits accordés aux fermiers atteignait parfois 20 %. Une famine mondiale se dessinait à l’horizon.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.  « 

Paul Jorion annonce la famine, pour l’année prochaine. La cause en est le tarissement du crédit aux agriculteurs.
Le monde agricole a toujours fonctionné sur le mode d’avance sur récolte.
On vient dans une configuration, donc, qui ressemble de plus en plus à la grande crise du 14° siècle, l’écroulement du crédit, d’abord en Angleterre, conduit à une crise globale qui se termine en crise de dépopulation.
Les fonds apportés par les états, eux, vont servir à engraisser le cochon : dividendes, bonus, lobbying…
Au XIV° siècle, la crise politique qui termina la crise (« Grande commocion » connue sous le nom de « Grande Jacquerie »), fut une guerre d’extermination…

Plus que jamais, la prise de conscience politique est nécessaire. Si possible, avant la crise.

Dimanche 2 novembre 2008.

Commentaires

7 réponses à “Préparer la Famine…”

  1. Avatar de raymond
    raymond

    Les élucubrations rétrospectives de Paul Jorion méritent-elles une telle place? Je ne pense pas que des copier-coller exhaustifs de ses écrits fassent grandement avancer la science et l’audience du Blog Energie. Un misérable lien dans un résumé aurait été aussi efficace.
    Gordon Brown va être content d’apprendre qu’il n’a fait que suivre les Irlandais. C’est tout de même un raccourci époustouflant! Cela illustre le biais des articles de ce Monsieur.

  2. Avatar de patrick
    patrick

    Les britanniques suiveurs des irlandais, c’est en tout cas, ce qui s’est largement dit, et pas seulement par Jorion.

  3. Avatar de daucy
    daucy

    Famine 1922 UKRAINE
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Holodomor
    Changement de sujet…
    Si l’auteur du post pouvait indiquer l’origine de « l’image », je pense l’avoir vu dans un de mes livres d’histoire en primaire…j’ai eu un coup de nostalgie lorque je l’ai reconnu…c’etait peut-être dans un chapitre sur la guerre de 100 ans.
    Merçi d’avance.

  4. Avatar de patrick
    patrick

    c’est effectivement une gravure du 14°siècle, utilisée fréquemment dans les livres d’histoire, mais, non pas au chapitre de la guerre de 100 ans, mais sur la période « grande jacquerie/Etienne Marcel ».

  5. Avatar de Raymond
    Raymond

    Cest vrai, l’image est beaucoup plus intéressante que le texte. Dieu soit loué!

  6. Avatar de Tamouc
    Tamouc

    Cet article ne prend en compte qu’une partie du probleme concernant les futures famines : l’assechement du credit.
    L’autre partie du probleme concerne la baisse des rendements agricoles. Voir :
    http://dlarchey.free.fr/eatingoil.pdf
    Sur ce dernier point on beneficie toutefois d’un sursis avec la baisse actuelle des prix du petrole.

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