L’efficacité énergétique des processus détermine-t-elle la croissance économique?

 La Science économique s’est penchée depuis le 19ème siècle sur la relation qui existe entre croissance économique et consommation d’énergie. Il est longtemps apparu comme de bon sens, que la consommation d’énergie n’est que la conséquence de la croissance économique. La boulimie énergétique chinoise ou indienne actuelle nous montre avec évidence l’existence de ce lien direct. Un exemple qui nous éloignera des statistiques douteuses chinoises: en 2011 d’après une dépêche Bloomberg, il devrait manquer à l’Inde 142 millions de tonnes de charbon pour faire marcher ses centrales électriques situées prudemment dans les ports. Elle ne saura extraire de son sol que 554 millions de tonnes de charbon alors qu’elle prévoit d’en consommer 696 millions de tonnes affirme le Ministre indien en charge de ces problèmes. Dans les vingt ans à venir la consommation annuelle indienne devrait atteindre deux milliards de tonnes de charbon, affirme ce même Ministre.

 La question fondamentale qui aurait alors dû être posée à ce charmant personnage indien est la suivante: êtes-vous sûr que l’Australie, l’Afrique du Sud, l’Indonésie et autres pays exportateurs de charbon seront prêts à vous vendre le milliard de tonnes de combustible ou plus qui vous manquera alors? En d’autres termes ce Ministre extrapole naïvement à 20 ans la tendance de ces dernières années sans se préoccuper des contraintes de prix qui vont peser sur ses approvisionnements puis des contraintes basiques de disponibilité marchande de la ressource qu’il faudra alors se partager avec d’autres.

US-Energy-flow-2009
 Au travers de cet exemple indien se pose donc le problème de la pérennité de la croissance d’une Nation qui ne ferait aucun progrès dans l’efficacité énergétique des processus. Pour Robert Ayres et Benjamin Warr la réponse est évidente: il y a un lien direct de cause à effet entre efficacité énergétique (useful work) et croissance économique des Nations. Ces deux économistes renversent donc le sens de la relation: c’est le progrès dans l’efficacité énergétique, fruit de la technologie, qui permet de produire moins cher des produits et des services et les rend accessibles au plus grand nombre. En d’autres termes sur le court terme, de quelques années, ce sont les cycles économiques qui déterminent les fluctuations de consommations d’énergie mais sur longue période c’est la relation inverse qui prévaut: ce sont les progrès dans l’efficacité énergétique des processus qui déterminent la croissance. Les progrès dans la machine à vapeur, le moteur à explosion, le moteur électrique, la miniaturisation des équipements (downsizing) ont déterminé la croissance économique des nations.

Pour compléter ces propos il serait possible aussi d’invoquer la disponibilité dans certains pays de bonnes ressources énergétiques. Si le Japon par exemple, bien que ne disposant que de bien peu de ressource énergétique a su développer l’économie la plus avancée des grandes Nations industrielles, les États-Unis malgré une gabegie énergétique certaine, ont réussi à atteindre un niveau remarquable de développement grâce à leurs ressources énergétiques quasi inépuisables. L’aventure toute nouvelle des gaz de schistes qui leur donne accès à une nouvelle ressource qui va leur permettre de s’équiper de centrales au gaz à cycle combiné à fort rendement (60%) apparaît comme une formidable chance pour ce pays.

Par contre, cette approche économique de Ayres et Warr ne peut que rendre suspicieux celui qui essaye d’imaginer la poursuite de la croissance future de la Chine et de l’Inde. Viendra un jour où le reste du monde se révoltera contre le nouveau gâchis organisé des ressources énergétiques mondiales de ces deux grands pays, même s’il est vrai qu’une large part de leur activité n’est en réalité que de la sous-traitance pour les pays développés qui vont devoir en payer indirectement la facture énergétique.

 Les progrès énergétiques dans la génération d’électricité et dans les transports qui sont les deux postes essentiels du gaspillage énergétique actuel, vont déterminer la croissance à venir des Nations. En 2009 le rendement global de la production et de la distribution d’électricité aux États-Unis était de 32% (12,08/38,19 indique le diagramme), celui des transports était encore plus faible (6.74/26.98 = 25%). Il est évident que d’énormes progrès sont réalisables dans ces deux domaines, à condition de bien poser les problèmes.

 Prenons le cas de la France. L’objectif aujourd’hui est de consommer rapidement moins d’énergie pour la réalisation d’une tâche donnée, afin de désensibiliser l’économie aux fluctuations à la hausse des prix des ressources énergétiques. Prévoir l’économie du futur immédiat avec un pétrole à 200$ le baril et un charbon à 200$ la tonne telle est la tâche importante de ceux qui nous dirigent.

 Alors voici quelques grosses erreurs à éviter et pour lesquelles les actions correctrices urgentes devraient être prioritaires:

-importer du charbon pour produire de l’électricité avec un rendement énergétique au mieux de 40%

-laisser la circulation routière quotidienne s’enliser dans d’énormes bouchons,

-maudire les poids lourds et le transport routier sans imaginer que leur nuisance pourrait être largement réduite par le progrès technique (hybridation, mélange gaz naturel gasoil, réduction de la masse et des forces de frottement, augmentation du poids total en charge et atteinte d’une consommation de 20 litres aux cent kilomètres)

-continuer à se chauffer ou alimenter des chaudières industrielles au fuel domestique,

-laisser en activité des raffineries de pétrole hors d’âge,

-taxer les émissions de CO2 en croyant naïvement qu’un impôt de plus va relancer la croissance… »verte »,

-avoir précautionneusement peur de tout ce qui est nouveau (gaz de schistes, biocarburants, génie génétique, nouvelles centrales au gaz, etc.)

 Malheureusement notre pays est largement atteint par nombre de ces maux dont le plus grave me semble être le dernier, et il n’apparaît pas que de puissantes actions correctrices soient en œuvre. Il faut donc être pessimiste sur le futur de la croissance économique de la France et donc sur le bonheur de sa population, ce qui est désolant. Le « josébovéisme » de gauche et le « précautionnisme » de droite, formes modernes d’obscurantismes, prévalent et trouvent certains relais aux plus hauts échelons de l’État. L’unanimité dans les médias pour condamner sans enquête équitable l’exploration puis l’exploitation éventuelle des gaz de schistes en France illustre parfaitement l’état d’esprit du moment. Mais me direz-vous, le choix du Larzac comme terrain de prospection par le Ministère Borloo n’était-il pas une provocation volontaire pour mettre le feu aux poudres? L’inattention dans ce domaine est impossible.

LIRE un résumé des travaux de Ayres et Warr.

Le papier de Bloomberg sur le charbon indien.

Pour mieux comprendre les gaz de schistes  avec plus d’objectivité que ne le font les médias français, consulter l’excellent travail de Florence Gény du Oxford Institute for Energy Studies: « Can Unconventional Gas be a Game Changer in European Gas Market ». Après des conclusions pessimistes, ses recommandations pour que l’Europe réussisse un jour dans ce domaine sont limpides.

Le 6 Février 2011

 

Commentaires

2 réponses à “L’efficacité énergétique des processus détermine-t-elle la croissance économique?”

  1. Avatar de Marvin
    Marvin

    Ray,
    Comme vous le savez sans doutes, le rendement de la production/ditribution d’électricité est de:
    38.7% en France
    35% en Allemagne
    …50% en Suisse où 50% de l’électricité est d’origine hydraulique.
    Tout ça pour dire que le chiffre de 32% aux USA est certes mauvais, mais peut être pas aussi mauvais que la lecture de votre article peut le laisser croire à un non-spécialiste, non?

  2. Avatar de Ray
    Ray

    Marvin, j’ai cité le chiffre américain parce que c’est le seul qui m’a semblé crédible et significatif. Pour la France avec un nucléaire pris forfaitairement à 30% le chiffre ne veut pas dire grand chose. Pour moi la référence moderne sont les centrales à gaz à cycle combiné avec un rendement de 60% desquels il faut défalquer les pertes de distribution. Alors disons tout simplement que l’objectif des nations est de tendre lentement vers une asymptote à 55% de rendement. Avec 32% les États-Unis ont encore de nombreuses centrales au charbon à fermer ou à moderniser en IGCC. Mais ils disposent surtout du gaz naturel qui devrait leur permettre de faire des progrès importants sur ce point dans les décennies à venir.
    Tout repose sur le dialogue entre distributeurs qui ont des objectifs de coûts et de teneurs en CO2/MWh à respecter et les divers producteurs en compétition. Le centrales au gaz me semblent, couplées avec l’éolien, avoir toute leur chance dans ce vaste pays.

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