Un exemple de croissance soutenable et de transition vers la décroissance: la population mondiale

Durant les années 1970, alors que la population mondiale croissait de 2% par an certains se sont inquiétés de la disponibilité potentielle des ressources naturelles. C’est de là que sont apparues, par exemple, les Etudes du Club de Rome et les théories du peak-oil. Depuis cette conviction d’une pénurie imminente a été entretenue par les acteurs de cette époque qui ont, bien sûr, pris quelques années, mais continuent inlassablement à nous expliquer les méfaits de toute progression géométrique et autres lois exponentielles. Une croissance de 2% par an conduisant à un doublement en 35 ans, il aurait été possible de prévoir mathématiquement à partir des 3,5 milliards de terriens de l’époque, une population mondiale de 14 milliards d’habitants en 2040. Or la prévision moyenne des Nations Unies annonce pour 2040 dans les 8,8 milliards de terriens. Alors que s’est-il passé? Le désir de bien-être des femmes de plus en plus nombreuses a pris le dessus sur les mathématiques. Devant la baisse de la mortalité infantile, l’effacement des coutumes et des religions face à l’éducation et avec la démocratisation de méthodes contraceptives plus ou moins élaborées, de plus en plus de femmes ont décidé de réduire le nombre d’enfants procréés. C’est ainsi que, malgré le vieillissement des populations mieux soignées, le taux de croissance annuelle de la population mondiale a régressé depuis les années 1970 pour atteindre en 2010 une valeur voisine de 1,1%. Les projections du scénario médian des Nations Unies sont basées sur une poursuite de cette décroissance (FIG.I) qui devrait passer en un siècle de 2% par an à 0% de façon quasi linéaire. Une extrapolation peu audacieuse de ces prévisions permet d’estimer que la population mondiale devrait passer par un maximum autour des 9,3 milliards d’individus vers les 2060 pour décroître ensuite.

Population-mondiale-1950-2080 

Ce processus bien analysé de Transition Démographique qui aura vu la population mondiale croître de façon provisoire en raison de son vieillissement, implique en retour, une décroissance à venir durant la deuxième partie de ce siècle. Le 21ème siècle connaîtra donc à la fois la baisse de la croissance puis la décroissance de la population mondiale.

Pour illustrer ce phénomène il est utile d’examiner ce processus au sein de divers pays les plus avancés .

Parmi les pays les plus avancés il en est un parfaitement représentatif: le Japon. Pour des raisons culturelles ce pays étant quasiment fermé à toute immigration de masse, il est possible d’llustrer par cet exemple le phénomène de transition démographique. La population du Japon est passée par un maximum entre les années 2004 et 2006, elle est entrée maintenant en phase de décroissance (FIG.II). En 2009 la population japonaise a baissé de 75 mille personnes avec 1144000 décès pour 1069000 naissances. 

Population-japon-1950-2050

A cette profonde modification des modes de vie des femmes japonaises, de plus en plus urbanisées et désirant participer à l’activité économique et culturelle de leur pays, il est intéressant de mettre en parallèle les consommations d’énergie de la population globale pour essayer de quantifier l’impact sur le monde du train de vie de ces 127 millions d’habitants évoluant dans un cadre de très haute technologie. La consommation cumulée sur 12 mois glissants d’électricité qui avait dépassé les 1000 TWh en Juillet 2008 a baissé de 8,5% depuis pour atteindre 925 TWh à la fin 2009. Quand à la consommation de pétrole, à 4,4 millions de barils/jour (FIG.III), elle est en baisse à l’automne 2009 de 18% depuis le plus haut constaté en Juin 2005.

Conso-Japon-cumul-2005-2009-09

Il est donc possible de constater que pour ce pays très en avance sur le reste du monde sur bien des points, de la technologie à la mode des teenagers, qui va être impacté par la baisse de sa population vieillissante, voit ce phénomène s’accompagner d’une baisse de consommation d’énergie et plus particulièrement de pétrole. Pour cette population largement urbaine, aux transports de masse largement développés, la possession d’une voiture par les jeunes générations est devenue une option de second ordre. Les fabricants de véhicules nippons essayent de lutter contre cette désaffection en proposant des modèles plus adaptés aux attentes du moment, tels que des véhicules hybrides puis, dans quelques mois, électriques.

Parmi les autres populations du monde la Corée du Sud devrait suivre le schéma du Japon avec 15 à 20 ans de retard.

Population-USA-1950-2090  L’autre modèle d’une transition démographique avancée mais impactée par une immigration soutenue est le modèle américain du Nord (USA, Canada) auquel on peut joindre l’Australie et les grands pays européens comme la Grande-Bretagne ou l’Espagne et dans une moindre mesure la France dont les flux migratoires assurent une croissance soutenue de la population.

 Pour les Etats-Unis la croissance de la population est dans sa phase de déclin. Une extrapolation des projections des Nations Unies permet d’espérer un maximum de population vers 2070 aux environs des 410 millions de citoyens, soit 100 millions de plus qu’aujourd’hui (FIG.). Dans ce type de pays tel que les Etats-Unis, le Canada et l’Australie, les consommations d’énergie devraient se stabiliser et même décroître en raison de l’importance du gisement que constitue la réduction du gaspillage. Pour ces pays l’évolution des populations dépendra pour partie des politiques d’immigration qui seront appliquées dans le futur.

Le scénario qu’il est donc possible de retenir pour les pays les plus riches de la planète est un tassement rapide de la croissance de la population accompagné de son vieillissement. Elle devrait passer par un maximum vers les 2040 pour ensuite décroître. Ce phénomène, accompagné d’une forte urbanisation des populations, se traduira par une importante baisse des consommations d’énergie et plus particulièrement de pétrole de la part de ces populations. La baisse des consommations de pétrole des pays de l’OCDE déjà largement entamée (LIRE) devrait donc se poursuivre tout au long du siècle et compenser ainsi les croissances initiales de consommations des pays en voie de développement d’Asie ou d’Amérique du Sud.

L’impact des évolutions des populations sur le monde et de leurs modes de vie sur les consommations d’énergie et autres commodities ont un effet pour l’instant mal évalué et difficilement quantifiable. L’adaptation des populations aux contraintes de prix ou de pollution, leur recherche de plus de bien-être, peuvent mettre à mal bien des prévisions. Ces processus d’adaptation participent à la soutenabilité d’une moindre croissance qui évoluera NATURELLEMENT vers la décroissance en raison du processus de transition démographique en cours qui implique vieillissement des populations suivi de la réduction de leurs tailles. Les deux phénomènes successifs, âge et nombre, devraient avoir de fortes répercussions sur les besoins en énergie des populations tout au long de ce siècle. 

Remarque: le cas de la Chine constitue un cas particulier de transition démographique anticipée par la volonté politique des dirigeants qui ont édicté des règles sur les possibilité de procréation des femmes de ce pays. La population chinoise devrait passer par un maximum de 1,46 milliards d’habitants vers 2030. Nul doute que la décroissance de population qui suivra allègera faiblement les besoins en énergie et en diverses commodities de ce pays.

Le 18 Janvier 2010 

Commentaires

6 réponses à “Un exemple de croissance soutenable et de transition vers la décroissance: la population mondiale”

  1. Avatar de Etienne
    Etienne

    C’était en effet un des gros reproches que l’on avait formulé au sujet des rapports de type club de Rome, c’était de ne prendre en compte uniquement des boucles de rétroactions « matérielles » (ce qui était déjà révolutionnaire à l’époque cela dit …). Force est de constater que les boucles de rétroaction « culturelles » existent bel et bien et que leur effet est loin d’être négligeable.
    L’exemple de la voiture chez le jeunes que vous invoquez ici en est le parfait exemple, et ce pas uniquement chez les japonais. Chez les jeunes parisiens (dont je fais partie) personne ne songerait à s’encombrer d’une voiture au quotidien ! Cela n’est pas adapté à tous les modes de vie évidemment, mais ne pas prendre cette tendance en compte serait commettre une grave erreur …

  2. Avatar de ray
    ray

    Merci Etienne pour votre commentaire et votre témoignage. Il est évident qu’il reste un énorme travail à faire à l’intersection entre sociologie, démographie et économie. Le vieillissement des populations suivi de leur décroissance et la sensibilité des nouvelles générations à l’impact de leurs décisions sur le monde, vont fondamentalement modifier la donne économique durant les décennies à venir. Je suis certain que dans les équipes marketing des grandes marques, c’est un sujet qui doit être dominant. La croissance inéluctable des consommations d’énergies fossiles est une certitude du siècle précédent; il faudra remettre en cause ce dogme encore largement partagé.

  3. Avatar de Nicolas

    Sujet passionnant.
    Cependant, il faut tenir compte que l’extrapolation « peu audacieuse » que vous faites Ray pour la population mondiale nous amène en 2060, soit 50 ans par rapport à maintenant. L’incertitude est très forte !
    La démographie s’appuie certes sur des tendances lourdes mais elle n’est pas capable de prévoir à 1/2 siècle d’avance la population mondiale (2 générations) avec un degré d’incertitude raisonnable. A contrario, les estimations pour la population chinoise en 2030 peuvent être prise avec plus de garantie.
    Si vous avez certainement raison sur l’évolution de la tendance (prise de conscience des jeunes, etc…), il me semble qu’il reste à voir le plus important : la pente de cette tendance.
    Par exemple, si le pétrole est consommé à un rythme plus élevé que son extraction, on aura une rupture, et ce même si la transition est prévue pour la décennie suivante. La vitesse du changement est composante forte dans l’équation.
    De même que les énergies renouvelables sont une solutions intéressantes, il est probable qu’elles arrivent trop tard. Leur déploiement de masse n’est pas prévu avant 2050.
    L’impact des énergies renouvelables n’est pas à attendre pour résoudre les problèmes énergétiques et climatiques.
    Cela amène à s’interroger : la transition démographique aura, certainement, lieu : mais quand ? Les comportements des pays riches changent ? Mais ce sera-t-il suffisant ? Et surtout : à quel vitesse changent-ils ?
    Enfin, le dernier point qui sort de votre propos mais qui est important : on n’a jamais vu une civilisation choisir volontairement la décroissance.

  4. Avatar de ray
    ray

    Nicolas, ce qu’il faut bien comprendre sur l’aspect quantitatif de la croissance que le monde a connu depuis un demi-siècle, c’est l’effet unique et non répétitif de la transition démographique qui à fait croître et vieillir la population mondiale issue d’une période de forte natalité. Les progrès de la médecine vont se poursuivre bien sûr mais leur impact sur la longévité des hommes va aller en s’amortissant. Cette bouffée de population va retomber comme un soufflet vers une situation plus stable. Un million de naissances par an au Japon conduira à une population stabilisée vivant en moyenne 90 ans de 90 millions d’habitants et non pas de 127 millions comme en ce moment. Ce n’est donc pas un choix de décroissance qui va être réalisé par les hommes, mais c’est la conséquence économique de la fin d’une période exceptionnelle de transition qui aura duré un large siècle.
    Je ne sais pas à quel niveau la population mondiale se stabilisera dans le courant du 22ème siècle. Mais si l’on prend le Japon en laboratoire de ce qu’il se passera plus tard dans le monde, il est possible d’avancer que la population diminuera d’un quart ou d’un tiers environ par rapport au maximum de la transition. Ceci conduira à une Terre comportant entre 6 et 7 milliards d’individus ou moins si la natalité recule encore dans la deuxième partie de notre siècle. Ce sont les femmes à la recherche de leur bien-être qui décideront.

  5. Avatar de Christian
    Christian

    Je suis trop jeune pour avoir connu le débat original qui avait suivit la sortie de « Limits to Growth », et je me garderai bien de commenter ce que chacun croît se souvenir, ainsi que le texte original devenu introuvable.
    Toutefois, je tiens à souligner une ré-édition « The Limits to Growth – the 30 years update ». Dans cette ré-édition, il y a de nombreux scénarii envisagés.
    Un seul ne conduit pas à une décroissance non maîtrisée de la population et de la production… Il repose sur deux actions concertées fortes : développement technologique tous azimuts et maîtrise démographique ; il aboutit tout à fait à des courbes de populations que vous montrez.

  6. Avatar de Damstounet
    Damstounet

    Article intéressant toutefois je me permets de réagir à un de vos commentaires.
    Qu’est-ce qui vous fait penser que la population mondiale se stabiliserait au XXIIe siècle à 6 ou 7 milliards d’individus ?
    Rien ne le prouve après tout, ce n’est qu’une hypothèse mais je crois qu’ils serait judicieux et plus correct de votre part de le préciser.
    Pour ma part, j’ai tendance à penser que la population mondiale ne se stabilisera pas au XXIIe siècle mais va au contraire poursuivre sa décrue de manière conséquente et que c’est seulement dans 2 ; 3 voire 4 siècles que la population mondiale se stabilisera (peut-être) à un niveau proche de celui de la population mondiale avant le début de la transition démographique amorcée au cours du XVIIIe siècle.
    Car je doute qu’une population mondiale à 6 ou 7 milliards d’individus soit viable à terme.
    Même avec des moyens technologiques révolutionnaires.
    J’estime donc que la population mondiale va, dans les siècles à venir, décroître à un rythme proche de la croissance débridée des siècles précédents.
    Et j’ai le sentiment qu’on n’arrive toujours pas à s’abstraire de ce  » mythe  » de la stabilisation de la population mondiale suite à la transition.
    Pour ma part, j’incline à penser que la véritable transition démographique se caractérise au départ par une forte croissance puis, dans un second temps, par une décroissance de même ampleur. Tout simplement.
    Et donc que les modèles classiques de transition démographique qu’on nous présente actuellement comme valides sont faux – ou à tout le moins – incomplets.
    Et rien ne nous dit non plus qu’au XXIIe siècle ou plus tard, les femmes auront toujours la maîtrise de leur fécondité.
    Ceci est une idée des XXe et XXIe siècles.
    Rien ne dit qu’elle sera encore vraie dans, disons, un siècle ou plus.
    Qui nous dit que la maîtrise de la fécondité des individus ne sera pas repris en main par la collectivité – avec l’assentiment des individus – étant donné qu’une fécondité relativement stable et adaptée aux ressources ne peut être gérée visiblement de manière réellement efficace que collectivement ?

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