Un homme roule à 30km/h sur sa moto 125 cm3 avenue des Gobelins à Paris, à la limite du couloir de bus , un jour de semaine en début d’après-midi. Il s’apprête à tourner quand deux policiers garés juste là lui font signe de s’arrêter. Il s’exécute, vos papiers, veuillez retirer votre casque, vous avez une drôle d’haleine, mais j’ai juste bu trois verres de bière à table et encore dans des verres à vin, c’est cela, suivez nous.
On ne lui laisse pas le temps de poser l’antivol sur sa moto ni même la possibilité de retirer la clé de contact. Embarqué au commissariat pour y être testé à l’éthylomètre. Résultat : 0,7grammes. Le plafond est à 0,4grammes.
Je peux téléphoner, ma mère arrive de province, je dois aller la chercher. En lieu et place du téléphone, ce sera déshabillage complet, inspection du trou du cul, projet avorté de découper l’alliance bien vissée dans le doigt puis mise à l’ombre dans une cellule crasseuse au sous-sol. Pas d’explication, pas de contact avec l’extérieur, c’est comme ça. Puis on le sort, on lui menotte les mains dans le dos et on le planque cette fois dans une cellule de dégrisement avant de le ramener dans sa cellule de garde à vue. L’interrogatoire reprend, nom, prénom, études, normale sup ça se passe avant ou après le bac, ah bon après, ça ne vous embête pas si je corrige les fautes d’orthographe avant de signer, faites je vous en prie, comme c’est la première fois vous n’aurez qu’un retrait de permis de cinq ou six mois estimez-vous heureux. Notez qu’ils le voussoient, c’est la règle. Sauf que les “non monsieur” dépourvus d’âme, le voussoiement mécanique, à peu près aussi naturel qu’un “bonne journée” de caissière de supermarché, les non-réponses aux questions qu’on pose sur le déroulement de la procédure, l’impression d’être devenu, en quelque heures, un objet, un insecte, qu’on sort puis qu’on replace dans une boîte, sont pires que tous les « tutoiements”. Une fois libéré, l’homme retourne là où son cauchemar éveillé avait commencé. Il retrouve sa moto sans antivol avec les clés sur le contact. Un peu sonné, il hèle un taxi qui l’engueule, l’insulte et le fout dehors à peine a-t-il posé un pied à l’intérieur au motif qu’il a risqué d’érafler sa portière en l’ouvrant si près du trottoir. C’était la violence ordinaire d’une journée ordinaire dans la capitale ordinaire d’un pays qui se veut exceptionnel en février dernier.
Ce “tunnel d’absurdité”, dont Kafka a fait une oeuvre, Christophe Mercier en a fait une plaquette de circonstance comme on dirait un texte de combat sous le titre Garde à vue (30 pages, 3 euros, Phébus). Sauf que celui-ci est couché d’une écriture blanche, sèche, neutre. Ce n’est pas Le Proçès mais le PV. 30 petites pages pour 19 très longues heures. Du concentré de vécu. Un témoignage qui est vraiment bienvenu justement parce qu’il n’a rien d’extraordinaire. Pas de torture, pas de coups, pas d’insultes. Juste le grand jeu du petit personnel de la répression. Ca fait réfléchir. Aujourd’hui c’est lui, demain nous. Des histoires comme celle-là, les Français en vivent tous les jours par centaines, la même chose, exactement la même, est arrivée il y à 6 mois à un ami journaliste de Toulouse…On peut dès lors se demander si les motards de cette vidéo avaient réellement quelque chose de grave a se repprocher !
Source : le blog de Pierre Assouline
Illustration: le repaire des motards.com