
Parce que l’on veut notre bien, en fait, nos biens, les constructeurs n’ont rien trouvé de mieux que de nous demander la meilleure façon de faire. Il y a même un nom pour ça: la conception participative. Dit plus simplement, on nous demande notre avis, ou pour les plus timides, on nous observe du coin de l’œil en prenant des notes. Comme avec la classe politique qui gouverne par sondages pour ne pas se mettre les pieds dans les plats, les fabricants de motos ont changé de motto, ce n’est plus, faites-le ils viendront, mais donnons leurs ce qu’ils veulent.
On navigue à la tendance, en ce moment, c’est le rétrotech avec le look d’hier sur une technologie de pointe, et une fois la moto sur nos routes, ce n’est plus comment la rendre meilleure (un peu, du moins on l’espère), mais bien plus comment l’adapter aux goûts et désirs de la clientèle?
Les grands avec leurs parts de marchés qui fluctuent au gré des vents, bons ou mauvais, n’osent plus s’aventurer dans l’inconnu, et l’innovation ne se fait plus que dans le seul détail qu’une nouvelle réglementation impose. Et parce qu’il est plus simple et moins risqué de satisfaire les besoins déjà existants, que de tenter d’en créer de nouveau, ils s’accrochent aux valeurs communes véhiculées par le groupe de ses adeptes, de l’image qu’ils se font d’eux-mêmes, et de celles qu’ils veulent projeter.
Harley-Davidson fonctionne de cette façon depuis des années, pour ne pas dire décennies. Harley, ce n’est pas une moto, c’est une manière de vivre, rouler en Harley, c’est faire partie d’une famille qui partage, non seulement une histoire maintenant centenaire, mais aussi un code vestimentaire, un désir affiché de liberté, d’aventure et de camaraderie virile. Rouler en Harley, c’est rouler dans l’imaginaire collectif du mauvais garçon, même si l’on est dentiste, marié avec enfants et non-fumeur.
Toutes les motos font cet effet, bien que certaines plus que d’autres, alors on n’est plus soi même, nous jouons un rôle, nous devenons Valentino Rossi, Steve McQueen, Marlon Brando (et il serait temps que le cinéma renouvelle cet imaginaire), on est membre d’un clan, et plusieurs s’en font tatouer le logo.

Des communautés se forment, le Harley Owners Group (HOG), le Desmo Owners Club (DOC), des liens virtuels apparaissent comme le Design Café de Yamaha, l’idée étant de retenir la clientèle grâce à l’interaction et le dialogue. On y partage des idées, nos opinions, nos expériences, on organise des événements, on se regroupe, on se responsabilise. Des ateliers sont créés, on s’entraide, on offre des produits comme de l’assurance, du crédit, des produits exclusifs inspirés par l’image de la famille. Les femmes, les vétérans, les enfants, tous sont intégrés autour de la marque pour entretenir le sentiment d’appartenance.

Les motos ne naissent pas toutes égales, mais les circonstances, cette grande ordonnatrice du chaos, peuvent faire en sorte que n’importe qu’elle moto sera capable de faire naître un profond lien émotif. Ce lien est précieux, pour nous, car il procure un bien-être, mais surtout pour la marque, qui compte là-dessus pour entretenir et encourager notre loyauté.
Et comme il est 5 fois plus coûteux d’attirer un nouveau client que de garder celui qui est déjà là, on comprendra que l’idée de communauté, voire de tribu, est importante.

Alors que BMW jette en pâture un produit comme le LoRider, personnalisable avec tout le toc et les tics du moment, ce n’est pas seulement pour nous faire plaisir, pour nous offrir une meilleure expérience de notre moto, mais surtout pour encourager ce désir d’appropriation. Que ce ne soit pas uniquement une moto, mais sa moto, une BMW. Et si la LoRider voit le jour, tout un écosystème se développera autour du concept, pour le nourrir.
BMW mise sur l’inclination du moment vers la personnalisation (en fait, l’idée du chopper, mettre à sa main, date plutôt d’avant-hier, mais puisqu’on y ajoute le rétrotech actuel, on espère que ça tiendra le coup) pour y recycler son moteur Boxer sous des habits neufs, hautement interchangeables.
Les temps sont durs, on devient frileux, mais chers constructeurs, croyez-vous vraiment que vous avez les moyens de nous ennuyer en nous donnant ce que nous voulons?
La morosité ambiante actuelle n’est pas un caprice auquel l’on cède, comme on le ferait pour un enfant trop gâté avec lequel on achèterait la paix!
La vraie satisfaction ne vient pas du désir assouvi, mais de l’inattendu, de la rencontre avec l’inconnu. Je veux être intrigué, surpris, divertis, ce n’est pas d’un je t’aime convenu à l’oreille dont j’ai besoin, je veux me faire bousculer dans une étreinte farouche, entendre des cris, pas des murmures.
Qui a encore les moyens d’être timide? Il est déraisonnable d’être raisonnable, il faut imaginer l’inimaginable, surmonter l’insurmontable, se bercer d’illusions pour atteindre l’illusoire, ne pas avoir peur du ridicule si l’on veut atteindre le sublime.
Je veux cette moto, tous, on voudra cette moto. Qui nous la donnera?